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En voyant la duchesse, madame de Beauséant ne put retenir une exclamation.

Je vous ai devinée, Clara, dit madame de Langeais. Vous partez pour ne plus revenir ; mais vous ne partirez pas sans m’avoir entendue et sans que nous nous soyons comprises.

Elle prit son amie par le bras, l’emmena dans le salon voisin, et là, la regardant avec des larmes dans les yeux, elle la serra dans ses bras et la baisa sur les joues.

— Je ne veux pas vous quitter froidement, ma chère, ce serait un remords trop lourd. Vous pouvez compter sur moi comme sur vous-même. Vous avez été grande ce soir, je me suis sentie digne de vous, et veux vous le prouver. J’ai eu des torts envers vous, je n’ai pas toujours été bien, pardonnez-moi, ma chère : je désavoue tout ce qui a pu vous blesser, je voudrais reprendre mes paroles. Une même douleur a réuni nos âmes, et je ne sais qui de nous sera la plus malheureuse. M. de Montriveau n’était pas ici ce soir, comprenez-vous ? Qui vous a vue pendant ce bal, Clara, ne vous oubliera jamais. Moi, je tente un dernier effort. Si j’échoue, j’irai dans un couvent ! Où allez-vous, vous ?

— En Normandie, à Courcelles, aimer, prier, jusqu’au jour où Dieu me retirera de ce monde.

— Venez, monsieur de Rastignac, dit la vicomtesse d’une voix émue, en pensant que ce jeune homme attendait. L’étudiant plia le genou, prit la main de sa cousine et la baisa.

— Antoinette, adieu ! reprit madame de Beauséant, soyez heureuse. — Quant à vous, vous l’êtes, vous êtes