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Elle s’arrêta.

— Il était sûr qu’on le trouverait chez…

Elle s’arrêta encore, accablée de douleur. En ces moments tout est souffrance, et certains mots sont impossibles à prononcer.

— Enfin, reprit-elle, je comptais sur vous ce soir pour ce dernier service. Je voudrais vous donner un gage de mon amitié. Je penserai souvent à vous, qui m’avez paru bon et noble, jeune et candide au milieu de ce monde où ces qualités sont si rares. Je souhaite que vous songiez quelquefois à moi. Tenez, dit-elle en jetant les yeux autour d’elle, voici le coffret où je mettais mes gants. Toutes les fois que j’en ai pris avant d’aller au bal ou au spectacle, je me sentais belle, parce que j’étais heureuse, et je n’y touchais que pour y laisser quelque pensée gracieuse : il y a beaucoup de moi là-dedans, il y a toute une madame de Beauséant qui n’est plus, acceptez-le ; j’aurai soin qu’on le porte chez vous, rue d’Artois. Madame de Nucingen est fort bien ce soir, aimez-la bien. Si nous ne nous voyons plus, mon ami, soyez sûr que je ferai des vœux pour vous, qui avez été bon pour moi. Descendons, je ne veux pas leur laisser croire que je pleure. J’ai l’éternité devant moi, j’y serai seule, et personne ne m’y demandera compte de mes larmes. Encore un regard à cette chambre.

Elle s’arrêta. Puis, après s’être un moment caché les yeux avec sa main, elle se les essuya, les baigna d’eau fraîche, et prit le bras de l’étudiant.

— Marchons ! dit-elle.

Rastignac n’avait pas encore senti d’émotion aussi vio-