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— Ne pensez-vous pas, dit Eugène, que madame de Beauséant a l’air de nous dire qu’elle ne compte pas voir le baron de Nucingen à son bal ?

— Mais oui, dit la baronne en rendant la lettre à Eugène. Ces femmes-là ont le génie de l’impertinence. Mais n’importe, j’irai. Ma sœur doit s’y trouver, je sais qu’elle prépare une toilette délicieuse. Eugène, reprit-elle à voix basse, elle y va pour dissiper d’affreux soupçons. Vous ne savez pas les bruits qui courent sur elle ? Nucingen est venu me dire ce matin qu’on en parlait hier au Cercle sans se gêner. À quoi tient, mon Dieu, l’honneur des femmes et des familles ! Je me suis sentie attaquée, blessée dans ma pauvre sœur. Selon certaines personnes, monsieur de Trailles aurait souscrit des lettres de change montant à cent mille francs, presque toutes échues, et pour lesquelles il allait être poursuivi. Dans cette extrémité, ma sœur aurait vendu ses diamants à un juif, ces beaux diamants que vous avez pu lui voir, et qui viennent de madame de Restaud la mère. Enfin, depuis deux jours, il n’est question que de cela. Je conçois alors qu’Anastasie se fasse faire une robe lamée, et veuille attirer sur elle tous les regards chez madame de Beauséant, en y paraissant dans tout son éclat et avec ses diamants. Mais je ne veux pas être au-dessous d’elle. Elle a toujours cherché à m’écraser, elle n’a jamais été bonne pour moi, qui lui rendais tant de services, qui avais toujours de l’argent pour elle quand elle n’en avait pas… Mais laissons le monde, aujourd’hui je veux être tout heureuse.

Rastignac était encore à une heure du matin chez madame de Nucingen, qui, en lui prodiguant l’adieu des