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commettriez là une imprudence à vous coûter la vie.

— Ça m’est égal, il faut faire honneur à monsieur Vautrin.

— Vous aimez donc bien vos héritiers ?

Allons, Sylvie, pas de raisons, dit la veuve en s’en allant.

— À son âge ! dit la cuisinière en montrant sa maîtresse à Victorine.

Madame Couture et sa pupille, sur l’épaule de laquelle dormait Eugène, restèrent seules dans la salle à manger. Les ronflements de Christophe retentissaient dans la maison silencieuse, et faisaient ressortir le paisible sommeil d’Eugène, qui dormait aussi gracieusement qu’un enfant. Heureuse de pouvoir se permettre un de ces actes de charité par lesquels s’épanchent tous les sentiments de la femme, et qui lui faisait sans crime sentir le cœur du jeune homme battant sur le sien, Victorine avait dans la physionomie quelque chose de maternellement protecteur qui la rendait fière. À travers les mille pensées qui s’élevaient dans son cœur, perçait un tumultueux mouvement de volupté qu’excitait l’échange d’une jeune et pure chaleur.

— Pauvre chère fille ! dit madame Couture en lui pressant la main.

La vieille dame admirait cette candide et souffrante figure, sur laquelle était descendue l’auréole du bonheur. Victorine ressemblait à l’une de ces naïves peintures du moyen âge dans lesquelles tous les accessoires sont négligés par l’artiste, qui a réservé la magie d’un pinceau calme et fier pour la figure jaune de ton, mais où le ciel semble se refléter avec ses teintes d’or.