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riez ostensiblement son mari. Bah ! elle est si malheureuse de ne rien connaître aux plaisirs de ce monde, que je l’absous de tout. Le bon Dieu doit être du côté des pères qui aiment bien. Elle vous aime trop ! dit-il en hochant la tête après une pause. En allant, elle causait de vous avec moi : « N’est-ce pas, mon père, il est bien ! il a bon cœur ! Parle-t-il de moi ? » Bah, elle m’en a dit, depuis la rue d’Artois jusqu’au passage des Panoramas, des volumes ! Elle a enfin versé son cœur dans le mien. Pendant toute cette bonne matinée je n’étais plus vieux, je ne pesais pas une once. Je lui ai dit que vous m’aviez remis le billet de mille francs. Oh ! la chérie, elle en a été émue aux larmes. Qu’avez-vous donc là sur votre cheminée ? dit enfin le père Goriot qui se mourait d’impatience en voyant Rastignac immobile.

Eugène tout abasourdi regardait son voisin d’un air hébété. Ce duel, annoncé par Vautrin pour le lendemain, contrastait si violemment avec la réalisation de ses plus chères espérances, qu’il éprouvait toutes les sensations du cauchemar. Il se tourna vers la cheminée, y aperçut la petite boîte carrée, l’ouvrit, et trouva dedans un papier qui couvrait une montre de Bréguet. Sur ce papier étaient écrits ces mots :

« Je veux que vous pensiez à moi à toute heure, parce que

» DELPHINE »

Ce dernier mot faisait sans doute allusion à quelque scène qui avait eu lieu entre eux. Eugène en fut attendri. Ses armes étaient intérieurement émaillées dans l’or