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stamment élégante à la vie de privations qu’il voulait embrasser le matin. Sa pensée le rejeta pendant un moment dans sa pension bourgeoise ; il en eut une si profonde horreur qu’il se jura de la quitter au mois de janvier, autant pour se mettre dans une maison propre que pour fuir Vautrin, dont il sentait la large main sur son épaule. Si l’on vient à songer aux mille formes que prend à Paris la corruption, parlante ou muette, un homme de bon sens se demande par quelle aberration l’État y met des écoles, y assemble des jeunes gens, comment les jolies femmes y sont respectées, comment l’or étalé par les changeurs ne s’envole pas magiquement de leurs sébiles. Mais si l’on vient à songer qu’il est peu d’exemples de crimes, voire même de délits commis par les jeunes gens, de quel respect ne doit-on pas être pris pour ces patients Tantales qui se combattent eux-mêmes, et sont presque toujours victorieux ! S’il était bien peint dans sa lutte avec Paris, le pauvre étudiant fournirait un des sujets les plus dramatiques de notre civilisation moderne. Madame de Beauséant regardait vainement Eugène pour le convier à parler, il ne voulut rien dire en présence du vicomte.

— Me menez-vous ce soir aux Italiens ? demanda la vicomtesse à son mari.

— Vous ne pouvez douter du plaisir que j’aurais à vous obéir, répondit-il avec une galanterie moqueuse dont l’étudiant fut la dupe, mais je dois aller rejoindre quelqu’un aux Variétés.

— Sa maîtresse, se dit-elle.

— Vous n’avez donc pas d’Ajuda ce soir ? demanda le vicomte.