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avec vous ! » Très-bien répondu, Madeleine, à ce fou manqué qui a quitté votre mère pour obéir à ses sens, et qui, votre mère éteinte à peine, ne trouve rien de mieux que de venir vous demander votre main et Clochegourde.

M. Félix de Vandenesse, ainsi chassé par Madeleine, retourne à Paris, non sans jeter un œil de regret sur Clochegourde et Madeleine, sur Madeleine et Clochegourde. Cette fois pourtant, après cet affront cruel, après avoir perdu cette seconde femme et Clochegourde, c’était bien le cas de se faire trappiste. Eh bien ! encore une fois, vous ne devineriez jamais où se rend M. de Vandenesse, au sortir de Clochegourde ! Il va vous le dire lui-même, car, pour moi, je n’oserais. « Dominé par une impérieuse tristesse, je ne songeais plus au but de mon voyage, lady Dudley était si bien loin de ma pensée, que j’entrais dans sa cour sans le savoir ! — J’avais chez elle des habitudes conjugales (et morganatiques !) »

Oui, madame, après avoir enlevé la mère, après avoir été chassé par la fille, M. Félix de Vandenesse retourne machinalement chez lady Dudley, la femme qui a fait mourir à petit feu ce pauvre Lys !

Mais voilà bien une autre aventure ! Entré dans cette maison où il croyait retrouver tout simplement ses habitudes conjugales, M. Félix de Vandenesse (et pour comble de mystification, il était en casquette de voyage) tombe au milieu de cinq[1] personnes : « lady Dudley pompeusement habillée ; lord Dudley, l’un des hommes d’État les plus considérables de l’Angleterre, gourmé, plein de morgue, froid ; il sourit en entendant son nom (vous avouerez cependant qu’il n’y avait pas là de quoi sourire), puis les deux enfants ! » Ainsi, fatalité ! pendant que M. Félix perdait deux femmes à Clochegourde, il en perdait une autre à Paris, et quelle autre ? cette femme de feu, qui avait la fantasmagorie d’Armide. Lui absent, lady Arabelle avait repassé, du bon côté cette fois, la Manche et le froid canal Saint-George ; elle s’était enfermée de nouveau, sauf à faire, plus tard, d’autres sorties, dans son rempart d’acier poli, et dans sa cage où elle avait retrouvé sa mangeoire, son abreuvoir, son bâton, et du haut de son bâton l’ingrate et oublieuse perruche ne savait même plus dire à M. de Vandenesse : As-tu déjeuné, Félix ?

Mais, madame, une quatrième et dernière péripétie de ce touchant roman, une péripétie à laquelle vous êtes loin de vous attendre, et moi aussi, je vous jure ; la voici : mon Dieu, qu’elle est étrange et bizarre ! Vous vous rappelez que le Lys dans la vallée est une histoire manuscrite adressée par M. Félix de Vandenesse à une belle dame, madame la comtesse Natalie de Manerville. M. Félix de Vandenesse, qui aime madame de Manerville en quatrième et dernier ressort, espère se faire aimer d’elle, en lui racontant toutes les traversées de ses amours. Il n’épargne pas les belles phrases pour entortiller Natalie dans le filet de sa passion ; « ce qui courroucerait une femme vulgaire sera pour vous un nouveau sujet de m’aimer ! — Les femmes d’élite ont un rôle sublime à jouer, celui de la sœur de charité qui panse les blessures, celui de la mère qui pardonne à l’enfant. »

À quoi madame la comtesse de Manerville, qui est une femme beaucoup plus jeune et de beaucoup plus d’esprit qu’on n’aurait cru, fort peu touchée d’être une femme d’élite, et ne voulant être ni la sœur de charité, ni la mère de ce pauvre jeune homme, lui répond bel et bien dans un style emphatique et boursouflé :

  1. Note Wikisource. — Le nom de la cinquième personne a été omis. Il s’agit de « de Marsay, l’un des fils naturels du vieux lord » (Voir ici).