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appliquées au concert de nos voluptés ; puis des jeux pareils à ceux des serpents entrelacés. Elle voulait anéantir sous les foudroiements de son amour impétueux les impressions laissées dans mon cœur par l’âme chaste et recueillie d’Henriette ! » Mais, encore une fois, en voilà assez comme cela.

Après cette nuit si volcaniquement foudroyante et musicale, M. Félix quitte la maîtresse de son corps pour aller déjeuner chez la maîtresse de son âme.

« Au moment où j’abordais madame de Mortsauf, j’exerçais auprès d’elle ce flairer qui fait ressentir aux cœurs encore jeunes et généreux, la portée de ces actions indifférentes aux yeux de la masse. » Eh ! je vous prie, comment le flairer de ce monsieur ne lui a-t-il pas appris que c’est une triste conduite, d’avoir à la fois et ostensiblement deux femmes : l’une pour la nuit, l’autre pour le jour ; celle-ci pour l’âme, celle-là pour les sens ; l’une pour son thé et ses sandwichs, l’autre pour ses roses et ses lys ? C’est bien la peine d’avoir tant de flair.

Il est vrai que ce monsieur l’avoue plus tard. « Je sentis amèrement la faute d’apporter sous ce toit inconnu aux caresses un visage où les ailes diaprées du plaisir avaient semé leur poussière. » — Et, plus bas, pour s’excuser encore plus : « Qui aurait pu résister à l’esprit déflorateur de Louis XVIII ? »

Il quitta donc encore une fois madame de Mortsauf, et il revint à Paris avec lady Arabelle. Elle et lui, ils se plongèrent dans les douceurs d’un mariage morganatique ; et alors il se mit à étudier lady Dudley. Or, voici quelques-uns des résultats de son observation :

« L’Anglaise plie son amour au monde ; elle ouvre et ferme son cœur avec la facilité d’une mécanique anglaise. Passionnée comme une Italienne quand aucun œil ne la voit, elle devient froidement digne quand un étranger intervient. — Qui exagère la pudeur doit exagérer l’amour. Les Anglaises sont ainsi. Le protestantisme tue l’amour, car il doute, il examine et tue les croyances. »

Voici encore quelques traits épars du caractère de lady Arabelle :

« J’étais palpitant d’amour quand elle reprenait sa pudeur de convention. — Elle me maniait comme une pâte. »

Bien plus, cet admirable confort anglais qui lui avait tourné la tête, cette science de l’animalité qui lui a fourni une page ou deux de ce merveilleux pathos que vous savez, ces caves brossées, ces tapis dans les recoins de la maison, ce thé déplié et servi à l’heure dite, M. Félix vient de découvrir que cette finesse mécanique venait des gens de lady Arabelle ; qu’elle l’achetait et qu’elle ne la faisait pas ! C’était une femme qui payait ses laquais et qui choisissait les meilleurs. De ce jour, le thé ne parut plus aussi bien déplié à M. Félix ; la tendresse de lady Arabelle, le tuf sur lequel il perdait ses semailles, lui devint insupportable. Voilà pourtant où conduisent les mariages morganatiques et le laisser-voir de toutes les heures et de tous les jours !

Mais, au moment même où il apercevait ainsi « le lit pierreux du terrain (de la vie) sous ses eaux diminuées, il entendit le roi qui demandait au duc de Lenoncourt des nouvelles de madame de Mortsauf. « Hélas ! sire, ma pauvre fille se meurt, » répondit le duc. « Le roi daignera-t-il m’accorder un congé ? » dis-je les larmes aux yeux. « Courez, milord, » me répondit-il !