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versation du bonhomme. En vérité, madame de Mortsauf se venge cruellement des infidélités corporelles de M. Félix.

Hélas ! madame de Mortsauf était bien changée encore cette fois. Les légers coups de rasoir, qui d’abord sillonnaient son front, étaient devenus coups de bêche. « La fatale teinte jaune-paille ressemblait au reflet des lueurs divines dont les peintres illuminent la figure des saints. — Ses yeux étaient dénués de l’eau limpide où jadis nageait son regard (ce n’était pas faute de pomper l’humidité cependant), ses tempes bleuâtres semblaient ardentes et concaves ; ses yeux s’étaient enfoncés sous leurs arcades attendries, et le tour avait bruni ; elle était mortifiée, comme le fruit sur lequel les meurtrissures commencent à paraître, et qu’un ver intérieur fait prématurément blondir. »

Le domestique de M. Félix arrive ; « il m’avait apporté quelques affaires, que je voulus placer dans ma chambre. »

Affaires est ici pour quelques effets.

« Pour la comtesse, le monde se renversa ; entendant en elle-même les cris de la chair révoltée, elle demeura stupide en face de sa vie manquée.

« — Oh ! reprit-elle, j’ai cru trop en vous ! J’ai cru que vous ne manqueriez pas de la vertu que pratique le prêtre, et… que possède M. de Mortsauf, ajouta-t-elle en donnant à sa voix le mordant de l’épigramme. »

Pauvre femme ! elle a voulu à tout prix ne pas troubler sa chaste solitude, à la bonne heure ; mais, en ce cas, pourquoi donc exiger tant de fidélité de son amant ? Elle aurait dû se rappeler le proverbe aussi célèbre que les célèbres rillons et rillettes : Qui trop embrasse, mal étreint.

Le soir, ils s’en vont, elle et lui, se promener en voiture, et la pauvre femme parle beaucoup. « Quand l’être intérieur se ramasse et se rapetisse pour occuper la place que l’on offre aux embrassements, peut-être est-ce le pire des crimes ? »

Ils arrivèrent ainsi jusqu’aux landes où lady Arabelle attendait son amant Félix avec ce petit mot : My dear.

« — C’est lui, madame, répondit la comtesse. » L’Anglaise reconnut sa rivale et fut glorieusement anglaise. Elle nous enveloppa d’un regard plein de son mépris anglais, et disparut dans la bruyère avec la rapidité d’une flèche. »

Et du même pas madame de Mortsauf envoya souper Félix chez lady Arabelle.

Mais quand elle tint son amant, que de sarcasmes lady Arabelle lança contre sa rivale ! « La plaisanterie française, dit l’auteur, est une dentelle dont les femmes savent embellir la joie qu’elles donnent ; la plaisanterie anglaise est un acide qui corrode si bien les êtres sur lesquels il tombe, qu’il en fait des squelettes lavés et brossés. » (C’est pousser un peu loin la manie de la brosse. Ainsi cette Anglaise brosse sa cave et brosse les squelettes !) Voilà ce que pense le héros de cette histoire, tout en mangeant d’excellentes sandwichs qui ne sont pas beurrées de vertu.

« Mais comment vous décrire les accompagnements de ces jolies paroles ? C’étaient des folies comparables aux fantaisies les plus exorbitantes de nos rêves ; tantôt des créations semblables à celles de nos bouquets (les créations des bouquets !) ; la grâce unie à la force, la tendresse et ses molles lenteurs opposées aux irruptions volcaniques de la fougue ; tantôt les gradations les plus savantes de la musique