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teur de l’idée ; et c’est là, nous le répétons, que nous reprenons l’idéal. Madame Firmiani est encore une réponse à l’allégation qui a été faite contre la moralité de M. de Balzac. Aussi comprenons-nous la boutade légèrement impertinente que cette pudique levée de boucliers a suscitée tout récemment en lui, et qui nous a valu la spirituelle préface du Père Goriot. Nous ne répondons pas toutefois que ses rigides aristarques ne le prennent au mot, et ne prennent acte de cette déclaration moqueuse pour corroborer l’anathème qu’ils ont lancé contre lui. Le Lys dans la vallée, où M. de Balzac a, si promptement et avec un talent qui tient du prodige, réalisé la railleuse promesse faite dans sa préface, en peignant l’idéal de la vertu dans Henriette de Lenoncourt, la femme de M. de Mortsauf, nous semble une réponse doublement victorieuse. Maintenant, grâce aux changements heureux que l’auteur vient de faire subir à la Comtesse à deux maris, qui a paru dans un journal sous le titre de la Transaction, cette étude est une histoire irréprochable. On y remarque un type de l’avoué que la haute comédie adopterait à coup sûr, si nous avions aujourd’hui une haute comédie. La manière dont ce drame est conduit prouve avec quel éclat M. de Balzac paraîtrait au théâtre, si sa volonté n’était pas énergiquement fixée ailleurs. Au théâtre aussi, certes, il ouvrirait une voie nouvelle ; mais il s’est imposé une tâche immense, et veut l’accomplir jusqu’au bout. Il ne peut apporter un jour à la scène que le surplus des forces exorbitantes qui font de lui le plus rude athlète de notre littérature, mais aussi le plus inoffensif des écrivains. En effet, il ne juge personne, il n’attaque ni ses contemporains, ni leurs livres, il marche, comme l’a dit dernièrement un critique en rendant justice à son caractère, il marche seul, à l’écart, comme un paria, que la tyrannie de son talent a fait mettre au ban de la littérature. Sa conquête à lui est le vrai dans l’art. Pour arriver à cette conquête, toujours si difficile, aujourd’hui surtout que l’individualité disparaît dans les lettres comme dans les mœurs, il fallait être neuf. M. de Balzac a su l’être en ramassant tout ce que dédaignait la littérature au moment où elle faisait plus de théories que de livres. Il ne s’est jamais proclamé réformateur. Au lieu de crier sur les toits : « Ramenons l’art à la nature ! » il accomplissait laborieusement dans la solitude sa part de révolution littéraire, tandis que la plupart de nos écrivains se perdaient en des efforts infructueux, sans suite, ni portée. Chez beaucoup, en effet, une nature de convention succédait au faux convenu des classiques. Ainsi, en haine des formules, des généralités et de la froide stéréotypie de l’ancienne école, ils ne s’attachaient qu’à certains détails d’individualité, à des spécialités de forme, à des originalités d’épiderme ; en un mot, c’était une exagération substituée à une autre, et toujours du système. Ou bien, pour arriver au nouveau, d’autres faisaient des passions à leur usage, ils les arrangeaient et les développaient selon les caprices de leur poétique, s’ils évitaient le connu, ils rencontraient l’impossible. Ceux-ci partaient d’un principe vrai ; puis l’imagination les emportait sur ses ailes, et les livrait à des illusions d’optique, à des verres grossissants, à des rayonnements prismatiques. Ils empâtaient un trait d’abord pur, anéantissaient les demi-teintes, jetaient çà et là les crudités, puis l’énergie, la passion, la poésie à pleines mains et produisaient une dramatique et grandiose caricature. Ceux-là abandonnaient les individualités, combinaient des symboles, effa-