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impériales que madame Claes ? Cet excès de perfection ne serait un défaut que relativement à la vérité des mœurs. La mission de l’artiste est aussi de créer de grands types, et d’élever le beau jusqu’à l’idéal. Non moins que les études dont nous venons de parler, la Recherche de l’absolu est une protestation éloquente contre le reproche d’immoralité adressé à l’auteur, et sur lequel nous insistons obstinément parce que, depuis quelque temps, les critiques s’entendent pour ressasser cette banalité convenue. Quelques personnes ont regretté que les scènes réunies tout récemment sous le titre commun de Même histoire, n’aient entre elles d’autre lien qu’une pensée philosophique. Quoique l’auteur ait suffisamment expliqué ses intentions dans la préface, nous partageons ce regret à quelques égards. En effet, dans une œuvre d’imagination, quelque élevée qu’elle soit, l’esprit n’est pas seulement intéressé, et il ne suffit pas que l’on y trouve une succession d’idées bien logique, une fraternité de principes bien sentie ; le cœur et l’imagination veulent aussi leur part ; ils renoncent avec peine à l’attachement qu’un personnage leur avait inspiré ; ils se refroidissent quand ils en voient fréquemment revenir de nouveaux ; et, pour reconnaître la même héroïne dans chaque chapitre, il faut en quelque sorte avoir lu tout le livre. Si cette forme a de la poésie, elle a ses dangers ; l’auteur risque d’être incompris. Mais, en aucune partie de son œuvre, M. de Balzac n’a été ni plus hardi, ni plus complet. Le Rendez-vous est un de ces sujets impossibles dont lui seul pouvait se charger, et dans lequel il a été poëte au plus haut degré. Si l’influence de la pensée et des sentiments a été démontrée, n’est-ce pas dans la peinture de ce ravissant paysage de Touraine, vu par Julie d’Aiglemont, à deux reprises différentes ? Quel chef-d’œuvre que le tableau de cette jeune femme insouciante, qui n’a trouvé que des souffrances dans le mariage, et qui ne voit rien de beau dans la Touraine, tandis que plus tard elle y respire le bonheur en la revoyant au milieu des enchantements d’un amour qui ne se révèle que pour disparaître ! Les Souffrances inconnues sont une œuvre désespérante. Jamais aucun auteur n’avait osé plonger son scalpel dans le sentiment de la maternité. Ce passage de l’œuvre est un gouffre où tombe une femme en jetant un dernier cri. La Femme de trente ans n’a plus rien de commun avec la mère que la soif du bonheur, que l’égoïsme et ce je ne sais quel arrêt porté sur le monde ont tuée à Saint-Lange. Là est le point brillant de l’œuvre. Quelle adresse d’avoir entouré ce désespoir des lignes sombres et jaunes d’un paysage du Gâtinais ! Cette transition est un poëme empreint d’une horrible mélancolie. La conclusion s’en trouve dans l’Expiation, l’un des plus grands tableaux de cette œuvre pour qui veut reconnaître madame d’Aiglemont dans madame de Ballan, laquelle voit par sa faute l’inceste dans sa famille et sa punition sortir du cœur de son enfant le plus chéri. Ceux qui demandent de la morale à l’auteur peuvent relire ce nouveau quatrième volume des Scènes de la Vie privée, ils se tairont.

À la tête des Scènes de la Vie de province se place Eugénie Grandet. « Il s’en faut de bien peu, a dit un critique ingénieux, mais quelquefois sévère jusqu’à l’injustice, que cette charmante histoire ne soit un chef-d’œuvre, oui, un chef-d’œuvre qui se classerait à côté de tout ce qu’il y a de mieux et de plus délicat dans les romans en un volume. Il ne faudrait pour cela que des suppressions en lieu oppor-