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imitant la femme. Mais aussi comme M. de Balzac a deviné la femme ! Il a sondé tous les chastes et divins mystères de ces cœurs si souvent incompris. Quels trésors d’amour, de dévouement, de mélancolie il a puisés dans ces existences solitaires et dédaignées ! La surprise fut bien grande à l’apparition des Scènes de la Vie privée, quand on vit ces premières études de femme si profondes, si délicates, si exquises, telles enfin qu’elles semblèrent ce qu’elles étaient, une découverte, et commencèrent la réputation de l’auteur. Déjà pourtant il avait publié les Chouans, dont un personnage, Marie de Verneuil, avait prouvé sous quel point de vue nouveau il savait envisager la femme ; mais l’heure de la justice n’était pas venue pour lui, et, quoique lents à se faire jour, les succès légitimes sont inévitables.

Pour compléter sa révélation de la femme, M. de Balzac avait à faire une étude parallèle, spéciale, et non moins pénétrante, celle de l’amour. La base était trouvée, la conséquence se produisit naturellement. L’auteur pénétra donc intimement dans les mystères de l’amour, dans tout ce qu’ils ont de voluptés choisies, de délicatesses spiritualistes. Là encore, il s’ouvrit un nouveau monde. En mettant en œuvre ces précieux éléments, et sans que cette admirable psychologie de la femme et de l’amour ralentisse jamais dans ses récits la marche de l’action, il a trouvé l’art de rendre attachante la peinture la plus minutieuse du plus humble détail, d’intéresser au développement scientifique le plus aride, et d’imposer des lignes aux impalpables hallucinations du mysticisme. Chez lui, le drame, comme la resplendissante lueur du soleil, domine tout ; il éclaire, échauffe, anime les êtres, les objets, tous les recoins du site ; ses ardents rayons percent les plus épaisses feuillées, y font tout éclore, frissonner, étinceler. Et quelle harmonie suave dans ses fonds de tableau ! Comme leurs teintes s’assortissent avec le clair-obscur des intérieurs, avec les tons de chair, et le caractère des physionomies qu’il y fait mouvoir ! Ses plus grands contrastes mêmes n’ont rien de heurté, parce qu’ils se rattachent à l’ensemble, en vertu de cette lumineuse logique qui, dans les spectacles de la nature, marie si doucement le bleu du ciel au vert des feuillages, à l’ocre des champs, aux lignes grises ou blanches de l’horizon. Aussi tous les genres de littérature et toutes les formes se sont-elles pressées sous sa plume, dont la fertilité confond parce qu’elle n’exclut ni l’exactitude, ni l’observation, ni les travaux nocturnes d’un style plein de grâces raciniennes. L’esprit s’étonne de la concentration de tant de qualités, car M. de Balzac excelle en tout, et il le devait, puisqu’il voulait peindre les maisons et les intérieurs, les portraits et le costume, les replis du cœur et les aberrations de l’esprit, la science et le mysticisme, l’homme dans ses rapports avec les choses et avec la nature. Aussi est-il grand paysagiste. Sa vallée du Dauphiné dans le Médecin de campagne, les belles vues de Bretagne qui ornent les Chouans, ses paysages de Touraine, et particulièrement celui de Vouvray dans Même histoire ; la grande esquisse de la Norvège dans Séraphita, celle d’une île de la Méditerranée dans Ne touchez pas à la hache, la jolie marine des Deux Rencontres, son coin de l’Auvergne dans la Peau de chagrin, et la vue de Paris dans le Doigt de Dieu, sont des morceaux éminents dans notre littérature moderne. Il possède également au plus haut degré le style épistolaire. En quel auteur rencontrera-t-on des lettres comparables à celles de Louis Lambert, de la Femme abandonnée, de madame Jules, à