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— Sont-ce les mêmes cheveux ? demanda Lousteau.

— Oui, dit Gatien.

— Mais, s’écria le docteur Horace Bianchon, il y a, selon moi, de fortes raisons pour que, malgré ce certificat de bonnes vie et mœurs, la question reste indécise.

— L’avenir nous éclairera, dit Émile.

M. de Clagny ne fut ni procureur général, ni garde des sceaux. Ce digne magistrat était un homme sans ambition, qui devint tout uniment président du tribunal à Sancerre. M. de la Baudraye ne changea point son état de propriétaire, faisant valoir ses biens, doué d’une forte dose d’estime pour lui-même, et attendant avec impatience la mort du brave M. de la Hautoît, pour habiter, exploiter, améliorer la terre du Grossou. Madame de la Baudraye ne mania jamais le canif avec lequel les femmes donnent des coups dans le parchemin de leur contrat. Quoiqu’elle eût d’abord trouvé son mari peu agréable, elle arriva par degrés à l’indifférence des prisonniers auxquels une évasion paraît impossible ; elle roula paisiblement dans l’ornière du mariage, en sacrifiant à ses enfants et à son mari le peu d’idées extraconjugales qu’elle pouvait avoir conçues. Ses relations avec M. de Clagny restèrent dans les bornes d’une amitié sincère, et personne n’y vit rien d’illicite, quoiqu’en définitive le panier se trouvât chez lui. La belle dame de la Baudraye vieillit et se fana si bien, que, quand Horace Bianchon la revit en 1836, il ne la reconnut point.

Quoique peu dramatique, ce dénoûment est celui de beaucoup d’existences, dont la monotonie fait dire à certaines femmes supérieures, enfoncées à la campagne, que… elles s’ennuient à périr. Madame de la Baudraye s’ennuyait sans doute, mais elle n’en disait rien, ce qui semble une rare supériorité à beaucoup de tyrans domestiques.

1832-1836.

Voici maintenant la fin de la Femme comme il faut, qui n’a pas été conservée dans Autre Étude de femme ; elle commence après les mots : « C’est une femme comme il n’en faut pas ! » tome IV, page 553, ligne 7.

Maintenant, qu’est cette femme ? à quelle famille appartient-elle ? d’où vient-elle ? Ici, la femme comme il faut prend des proportions révolutionnaires. Elle est une création moderne, un déplorable triomphe du système électif appliqué au beau sexe. Chaque révolution a son mot, un mot où elle se résume et qui la peint. Expliquer certains mots, ajoutés de siècle en siècle à la langue française, serait faire une magnifique histoire. Organiser, par exemple, est un mot de l’Empire, il contient Napoléon tout entier. Depuis cinquante ans bientôt, nous assistons à la ruine continue de toutes les distinctions sociales ; nous aurions dû sauver les femmes de ce grand naufrage, mais le code civil a passé sur leurs têtes le niveau de ses articles. Hélas ! quelque terribles que soient ces paroles, disons-les : les duchesses s’en vont, et les marquises aussi ! Quant aux baronnes, elles n’ont jamais pu se faire prendre au sérieux, l’aristocratie commence à la vicomtesse. Les comtesses resteront. Toute femme comme il faut sera plus ou moins comtesse,