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dont l’attitude ne manque point d’énergie, et qui, dans la crise, sont très-dramatiques, pour employer un de vos mots, monsieur, dit-il en regardant Jules. Je connais une histoire où l’époux outragé n’était pas bête.

— Vous avez raison, mon cher monsieur Gravier, dit Bianchon, je n’ai jamais trouvé ridicules les maris trompés ; au contraire, je les aime…

Trois personnes seulement se mirent à rire : d’abord M. de la Hautoît, qui était un bon vieillard revenu des erreurs de la jeunesse ; puis le journaliste, ce féroce moqueur qui par état cherchait des quolibets pour consoler les malheurs ; enfin Gatien. Le procureur du roi, M. Gravier et les deux dames restèrent graves.

— Riez, dit Horace, je serai jusqu’à mon dernier soupir le défenseur des dupes et l’adversaire des fripons.

Le procureur du roi jeta ses dés d’une façon convulsive, et ne regarda point le jeune médecin.

— Ne trouvez-vous pas, disait Bianchon, un mari sublime de confiance ? il croit en sa femme, il ne la soupçonne point, il a la foi du charbonnier. S’il a la faiblesse de se confier à sa femme, vous vous en moquez ; s’il est défiant et jaloux, vous le haïssez ; dites-moi quel est le moyen terme pour un homme d’esprit ?

— Dites-nous plutôt votre histoire, monsieur Gravier, reprit Jules.

— Volontiers, si ces dames le permettent, car M. le procureur du roi, quoique célibataire, vient de se prononcer ouvertement contre l’immoralité des récits où la charte conjugale est violée.

— Comment donc ! mais il est si amusant de travailler en entendant raconter des aventures ! Je préfère une narration à une lecture, chacun alors peut causer dit madame de la Baudraye, tandis que le silence continu exigé par un livre est fort ennuyeux.

Ici se lisait l’Histoire du chevalier de Beauvoir, placée aujourd’hui dans la Muse du département ; puis le récit continuait ainsi :

Ni le procureur du roi, ni madame de la Baudraye ne parurent croire qu’il y eût dans ce récit la moindre prophétie qui les concernât. Les intéressés se jetèrent des regards interrogatifs, en gens surpris de la parfaite indifférence des deux prétendus amants.

— Bah ! j’ai mieux à vous raconter, dit Jules Lousteau, qui comprit que l’histoire de M. Gravier n’allait pas assez directement au but.

— Voyons, dirent les auditeurs.

— Lors de l’expédition entreprise en 1823-24, par le roi Louis XVIII, pour sauver Ferdinand VII du régime constitutionnel, je me trouvais, par hasard, à Tours, sur la route d’Espagne. La veille de mon départ, j’étais au bal chez une des plus aimables femmes de cette ville, où l’on sait s’amuser mieux que dans aucune autre capitale de province. Peu de temps avant le souper (on soupe encore à Tours), je me joignis à un groupe de causeurs au milieu duquel un monsieur qui m’était inconnu racontait une aventure. Cet orateur, venu fort tard au bal, avait,