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trouvent chacune que dans une édition. Voici, pour commencer, la deuxième version de la Grande Bretèche (voir plus haut pour la première : le Conseil, dans le Message), extraite de la première édition des Scènes de la Vie de province, 1834-1837. Cette version est en quelque sorte le germe de la Muse du département ; aussi s’y trouve-t-il quelques très-courtes parties semblables.

LA GRANDE BRETÈCHE
ou les trois vengeances.

Un des plaisirs les plus vifs en province, et que chacun poursuit avec le plus d’acharnement, est la découverte des secrets en amour ; mais aussi, n’est-ce pas la chasse transportée dans la région des sentiments ? Peut-être cette curiosité générale rend-elle les passions plus profondes dans une sous-préfecture que partout ailleurs. La rigidité des mœurs, la continuité de l’espionnage, la surveillance officieuse qui fait de la vie privée une vie quasi publique, la promiscuité que la disposition des lieux et que les habitudes domestiques introduisent dans les intérêts et jusque dans les pensées des maîtres et des serviteurs, tout oblige les amours illicites à s’envelopper des précautions les plus minutieuses, à observer un mutisme absolu, à garder une dissimulation perpétuelle. Une passion devient là comme une partie où chacun des amants joue sa vie, un duel où tous deux se battent contre mille adversaires. Qui, dans une petite ville, n’a pas ses ennemis ? Il suffit donc d’une inimitié poussée à bout par des circonstances souvent fortuites, pour qu’un homme soit victime de quelque trahison impossible à prévoir : un hasard, une lettre anonyme, un piége habilement tendu, un bon mot dit avec la légèreté qui caractérise la nation française. Ces réflexions que les Parisiens et les gens de province ont pu faire, et dont le mérite consiste dans leur excessive vulgarité, s’appliquent à la principale aventure narrée dans cette Scène ; elles sont d’ailleurs nécessaires pour expliquer la conversation de quatre chasseurs qui traversaient, à cinq heures du matin, par un effroyable brouillard, le parc du Grossou, château situé au bord de la Loire, à quelques lieues de Sancerre.

— Savez-vous pourquoi le procureur du roi n’a pas voulu venir chasser avec nous ? dit Gatien Boirouge, fils du président du tribunal, beau jeune homme de vingt-deux ans, le boute-en-train du pays.

— Pourquoi ? demanda le receveur des contributions.

— Il aime madame de la Baudraye, et va se trouver ce matin seul avec elle, puisque M. de la Baudraye part après déjeuner pour Sancerre.

— Mais pourquoi vous mêlez-vous de leurs petites affaires ? dit le troisième chasseur, nommé Horace Bianchon, enfant du pays, qui, après s’être fait recevoir médecin à Paris, était venu se distraire de ses études avant d’aller reprendre le collier de fer que l’ambition ou la gloire mettent au cou de tous les D. M. P. (doctor medicus parisiensis).

— Horace a raison, dit le quatrième, qui était un auteur également arrivé de