— Eh bien, je vous le dis. Qu’en pensez-vous ?
— Je pense que vous arriverez trop tard. Vous n’aurez que ma voix.
— C’est surtout votre voix que je veux.
— Êtes-vous tout à fait décidé ?
— Tout à fait.
Balzac me quitta. L’élection était déjà à peu près convenue ; des noms très-littéraires s’étaient ralliés, pour des motifs politiques, à la candidature de M. Vatout. J’essayai de faire de la propagande pour Balzac, mais je me heurtai à des idées arrêtées et n’obtins aucun succès. J’étais un peu contrarié de voir un homme comme Balzac réduit à une seule voix, et je songeais que, si j’en obtenais une seconde, je créerais dans son esprit un doute favorable pour chacun de mes collègues. Comment conquérir cette voix ?
Le jour de l’élection, j’étais assis auprès de l’excellent Pongerville, le meilleur des hommes, et je lui demandai à brûle-pourpoint :
— Pour qui votez-vous ?
— Pour Vatout, comme vous savez.
— Je le sais si peu, que je viens vous demander de voter pour Balzac.
— Impossible.
— Pourquoi cela ?
— Parce que voilà mon bulletin tout préparé. Voyez : Vatout.
— Oh ! cela ne fait rien.
Et, sur deux carrés de papier, de ma plus belle écriture, j’écrivis : Balzac.
— Eh bien ? me demanda Pongerville.
— Eh bien, vous allez voir.
L’huissier qui recueillait les votes s’approcha de nous. Je lui remis un des bulletins que j’avais préparés. Pongerville tendit à son tour la main pour jeter le nom de Vatout dans l’urne, mais une tape amicale que je lui donnai sur les doigts fit tomber son papier à terre. Il le regarda, parut indécis, et, comme je lui offrais le second bulletin sur lequel était écrit le nom de Balzac, il sourit, le prit, et l’expédia de bonne grâce.
Et voilà comment Honoré de Balzac eut deux voix au dépouillement du scrutin de l’Académie française.
XXXI. Balzac et sa queue, par Jules Levallois. Le Correspondant, 10 août 1877.
XXXII. Balzac en robe de chambre, par Paul Siraudin. Le Figaro, 2 mai 1878. La pièce la Vendetta, par Paul Siraudin, a été représentée pour la première fois le 23 octobre 1842.
XXXIIL La mort de Balzac, anonyme. Le Figaro, 24 août 1878.
Pour compléter les sources à consulter sur Balzac, il faut signaler encore l’article du Dictionnaire de la Conversation, signé d’abord V. Caralp, aujourd’hui rétabli au nom de son véritable auteur, Philarète Chasles ; celui de la Nouvelle Biographie générale, qui est