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affaire. Balzac ne voulut entendre à rien. La discussion s’engagea, longue, fatigante, tout en restant des plus courtoises. Mélingue, épuisé, dit :

— Allons ! vous y tenez absolument ?

— Absolument.

— Eh bien, alors, j’obéis !

À ce mot, Balzac éprouva comme une commotion. Cessant de parler, il fit quelques tours dans le salon, et, venant à Mélingue :

— Je n’accepte pas cela, dit-il. Je vous veux convaincu ; obéissant, non. Votre concession m’a été au cœur. C’est une grande preuve de déférence et d’amitié. Laissez ce rôle et donnez-moi la main !

Mélingue était fort ému ; nous avions beaucoup d’émotion aussi.

Quelques conférences entre Balzac et madame Dorval firent subir à la pièce les plus heureuses modifications.

La vaillante comédienne était souffrante ; elle n’en commença pas moins les répétitions avec une ardeur extrême. Elle y apportait un liant, un charme dont se souviennent encore ceux qui eurent le bonheur de la seconder. Ce fut dans un de ses moments d’entrain qu’elle esquissa, à mon intention, sur la table du souffleur, un paysage à la plume dont le dessin enfantin est intéressant par son inexpérience même, et surtout par la consécration touchante que la mort donne aux moindres souvenirs laissés par ceux que l’on a aimés et admirés.

Madame Dorval était minée par le mal implacable qui devait sitôt l’emporter. Elle ne put continuer les répétitions ; on confia son rôle à madame Lacressonnière. La remplaçante obtint le succès que l’on sait ; mais, un jour qu’on la complimentait, elle répondit :

— Ah ! si elle avait joué, elle !

La Marâtre fut représentée en juin 1848, ce qui veut dire au milieu des circonstances politiques les plus désastreuses !… Les théâtres étaient forcément abandonnés… Cependant telle est la puissance du génie, que ce qui restait à Paris de vaillant en littérature, se pressa dans la salle, et fit à l’œuvre de Balzac l’accueil sympathique et chaleureux qu’elle méritait.

Le lendemain de la représentation, j’allai rendre visite à l’auteur.

— Nous avons remporté la victoire, lui dis-je d’un ton joyeux.

— Oui, me dit Balzac, une victoire à la façon de celle de Charles XII.

En le quittant, je me risquai à lui demander où il était la veille et à lui reprocher de ne pas s’être montré à nous.

— Mais, me répondit-il en souriant, j’étais caché dans la loge des dames X

— Ah ! eh bien ? ajoutai-je avec curiosité.

— Eh bien, la pièce les a beaucoup intéressées. Au moment où Pauline s’empoisonne pour laisser croire que sa belle-mère l’a assassinée, ma jeune fille a poussé un cri d’horreur ; elle m’a lancé un regard de reproche, regard mouillé d’une larme, et, saisissant vivement la main de sa belle-mère, elle a porté cette main à ses lèvres avec un élan…

— Sincère ?…

— Oh ! oui ! j’en suis sûr.