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— à Presles, près Beaumont-sur-Oise, avec un Début dans la vie ; — à Limoges, avec le Curé de village ; — à Sancerre, avec la Muse du département ; — à Nemours, avec Ursule Mirouet ; — à Besançon, avec Albert Savarus, — et à Guérande, avec Béatrix.

On lui a reproché ses prétendues longueurs, on a critiqué aussi ses analyses patientes du caractère de ses personnages. Ce n’est pas en vain cependant que l’artiste copie la nature : sans les plaines souvent uniformes, il n’y aurait pas de vallées, et sans les grandes nappes d’eau, il n’y aurait pas de cascades. La mise en scène de Balzac peut parfois paraître embarrassée de détails ; mais vienne le moment où le cœur du romancier déborde, et il n’y a plus à regretter son récit si patiemment suivi. Quelles pages magistrales que les derniers instants de madame de Mortsauf ! les adieux de madame Claes ! les paroles de l’abbé Loraux à madame Bridau, qui vient de se confesser ! — les cris et les plaintes du père Goriot, se sentant mourir abandonné de ses filles, — la joie qui tue César Birotteau réhabilité et rendu à la vie commerciale, — et le tremblement nerveux dont est saisie, pour tout le temps qui lui reste à vivre, madame Hulot, frappée au cœur par les paroles séductrices de Crevel !

Balzac a eu ses détracteurs ; sans doute ses écarts d’imagination et ses débauches d’esprit feront toujours tache dans son œuvre. Il lui sera difficilement pardonné d’avoir volontiers abordé des sujets pour lesquels, en se rencontrant avec Dorat[1], ce maître en littérature galante, comme avec un collaborateur tout trouvé, il se rendait complice de la pire école du xviiie siècle et se condamnait à tous ses raffinements de pensée. En vain dirait-on que ses défauts ne sont peut-être que la conséquence des tableaux de mœurs par lui entrepris : dans ses peintures réalistes, où il ne recule devant aucune laideur, il a évidemment trop souvent poussé au delà de la limite posée par les convenances sociales ses recherches et ses observations. Mais, chez lui, le faux et le grimaçant le cèdent au beau et au vrai ; ce sont des scories mêlées à l’or pur. L’auteur de productions telles que :

L’Auberge rouge,
Séraphita,
Louis Lambert,
La Recherche de l’absolu,
Eugénie Grandet,
César Birotteau,
Les Souffrances de l’inventeur,
Le Curé de village,
Le Médecin de campagne,
Modeste Mignon,
Ursule Mirouet,
La Peau de chagrin,
La Cousine Bette,
Et le Cousin Pons,

appartient aujourd’hui à l’histoire : après une vie qui n’a été qu’un combat, le mot qu’il prête à madame Claes s’est réalisé pour lui : « La gloire est le soleil des morts : »

  1. Dans sa Physiologie du mariage, Balzac a rajeuni, en l’encadrant dans des guillemets, la pièce tirée du Coup d’œil sur la littérature, de Dorat, intitulée : Point de lendemain, et commençant par ces mots : « La comtesse de *** me prit sans m’aimer… »