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Mais maintenant que les productions de Balzac sont toutes connues, que son œuvre est parfaite et ne peut s’augmenter, ces catégories doivent, pour le lecteur, s’effacer devant un classement plus rationnel.

Ces sous-titres de la Comédie humaine n’apparaissent en effet aujourd’hui que comme des coupures, des moyens de faciliter la publication ; par eux-mêmes ils n’ont pas de signification bien caractérisée : toutes les études de Balzac ne sont-elles pas philosophiques ? Presque toutes ne se rapportent-elles pas à la vie privée ? Aucune, directement ou indirectement, reste-t-elle étrangère à la vie politique ? La plupart d’entre elles ne procèdent-elles pas à la fois de la synthèse et de l’analyse, — à tel point qu’il est difficile de dire laquelle des deux méthodes était la plus familière à l’auteur.

À un autre point de vue, ils ne sauraient servir de fil conducteur au milieu des deux mille personnages que Théophile Gautier compte dans la Comédie humaine : l’intérêt que Balzac leur portait, nous voulons l’éprouver à notre tour, mais, pour les connaître, il faut les voir vivre ; or, Balzac en suit certains du berceau à la tombe et beaucoup d’entre eux figurent dans divers romans ; par exemple, tels apparaissaient dans les Chouans ou dans une Ténébreuse Affaire, qui se retrouvent dans Splendeurs et Misères des courtisanes et la Dernière Incarnation de Vautrin, ou dans la Cousine Bette, ou le Député d’Arcis ; tels autres font leur entrée dans un Grand Homme de province à Paris et ont une place nouvelle soit dans la Muse du département, soit dans Modeste Mignon, soit dans les Secrets de la princesse de Cadignan, soit dans les Comédiens sans le savoir.

Un ordre de lecture s’impose donc dès le début : tous ces personnages si divers demandent à défiler devant nous sans rompre l’harmonie de l’œuvre de Balzac telle qu’il la comprenait lui-même et la sentait vivre en lui. Peintre de mœurs, il était avant tout historien ; or, l’histoire n’a qu’un ordre, — l’ordre chronologique. Les études mêmes les plus métaphysiques en apparence, se rattachant toujours par un point quelconque au temps, peuvent aussi trouver une place dans cette classification.

Cette nomenclature nouvelle de la Comédie humaine ne saurait comprendre les Contes drolatiques, ouvrage de fantaisie par excellence et que Balzac lui-même a pu regretter d’avoir livré au public. Ce livre, qui suffirait à lui seul pour la réputation d’un écrivain, ne fut que le produit des passe-temps de Balzac, lequel devait trouver ailleurs son véritable titre à la célébrité. Pour ces récits détachés, qui commencent au temps où le duc Richard gouvernait la Normandie et finissent sous Henri III, il a su, avec un rare talent, emprunter le style et le sel rabelaisiens ; certaines leçons morales s’en dégagent forcément, mais en s’y complaisant, Balzac n’a fait que payer sa dette au sensualisme, dont les intelligences les mieux douées ne sont pas toujours exemptes. La même plume, en effet, n’a-t-elle pas écrit Jésus-Christ en Flandre, cette suave légende qui sert comme de frontispice à la Comédie humaine, et encore Séraphita, espèce de vision spiritualiste, rêve de l’âme délivrée du corps, la vie entre ciel et terre ?

Voici l’ordre de lecture que nous proposerions pour les études composant à proprement parler la Comédie humaine, car beaucoup d’autres écrits de Balzac