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depuis que je sais lire et penser, je n’ai pas cessé de vivre avec les personnages de la Comédie humaine.

— Allez ! allez ! me répondit-il avec politesse, vous n’éprouvez certes pas autant de plaisir à m’interroger que j’en éprouve à vous répondre. Que désirez-vous savoir encore ?

— L’ancien ministre de l’agriculture et du commerce, M. le comte Popinot, celui que nous appelions le petit Anselme Popinot, du temps de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, montrez-le-moi, je vous prie.

— Il est en Angleterre, à Claremont, où il a suivi les princes déchus.

— Et du Tillet ?

— Du Tillet n’est plus en France, il s’est expatrié.

— Pour des causes politiques ?

— Eh quoi ! vous n’avez pas ouï parler de sa faillite ? Il a disparu un beau matin, emportant la caisse. La compagnie des agents de change a désintéressé les créanciers. Jenny Cadine et Suzanne du Val-Noble ne sont point étrangères à sa ruine.

— A-t-on des nouvelles d’Eugénie Turquet, dite Malaga, cette fille dont M. de Balzac a tracé un crayon si éblouissant dans la Fausse Maîtresse ?

— Elle est en Californie, où elle croque des lingots d’or comme elle croquait des pralines à Paris. Elle a de si belles dents !

— Et madame Schontz ?

— Elle tient une table d’hôte et donne à jouer.

— Et Josépha, la célèbre chanteuse ?

— Délaissée par le duc d’Hérouville, cette Ariane de la rue Le Peletier est allée chercher fortune en Amérique.

— Que sont devenus les deux enfants de madame de Mortsauf, de cette créature céleste nommée si justement le Lys dans la Vallée ?

— Jacques est mort de la poitrine ; Madeleine, riche à millions du chef de son père et du chef de sa mère, qui était une Lenoncourt, n’a point voulu se marier. Quoi qu’en ait dit M. de Balzac, je suppose qu’elle a nourri longtemps une secrète passion pour Félix de Vandenesse. Elle occupe l’avant-scène des premières. C’est une vieille fille à présent ; mais c’est encore une femme adorable, la digne fille de sa mère.

— Connaissez-vous le nom du personnage qui vient d’entrer dans sa loge ?

— Ce personnage est Canalis.

— Canalis ! le poète illustre qui joua un si grand rôle dans la vie de Modeste Mignon ?

— Précisément.

— Je l’aurais cru plus jeune.

— Ces dernières années l’ont effectivement bien vieilli : Canalis a touché à la politique, et vous voyez comme la politique a creusé le front et blanchi les tempes de la poésie. Ce grand homme tarirait le Pactole ; aussi fait-il à mademoiselle Madeleine de Mortsauf une cour empressée et intéressée. — Regardez à gauche, dans la première loge, en partant de la porte du balcon, et reconnaissez une des physionomies les plus curieuses de la Comédie humaine.

— Cette grosse femme ?