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XII.La Centième Représentation de Mercadet, par Albéric Second. Le Constitutionnel, 18 juin 1852. Quoique cette piquante fantaisie ait été réimprimée en 1858, dans le volume de l’auteur intitulé À quoi tient l’amour, nous croyons bien faire en la reproduisant ici.

On donnait, l’autre soir, au théâtre du Gymnase-Dramatique, la centième représentation de Mercadet le Faiseur, cette œuvre posthume de M. de Balzac dont l’apparition, on s’en souvient, excita à un si haut point la curiosité parisienne. Sans nous être rien dit, sans rendez-vous pris à l’avance, et très-certains d’ailleurs de nous y rencontrer, nous nous trouvâmes, ce soir-là, une douzaine d’amis, passionnés admirateurs de ce mort illustre, mêlés à la queue dont les tronçons serpentaient, dès six heures, sur le boulevard Bonne-Nouvelle. Nous avions tous assisté, il y a dix mois, à la première représentation de l’ouvrage, et nous accourions pieusement à ce jubilé de la gloire et du génie, comme nous sommes allés l’an passé et comme nous irons chaque année, le 18 août, déposer des couronnes d’immortelles sur la tombe provisoire de ce grand écrivain.

M. de Balzac n’était point de ces hommes qu’on aime à demi. Ceux qui ont eu l’honneur de l’approcher et de le connaître conservent avec une sorte de religion le culte de sa mémoire dans la meilleure place de leurs souvenirs et de leurs cœurs. Cette vie pleine de luttes sans cesse renouvelées, ce combat de toutes les heures, sans trêve, ni merci, résument d’une façon si complète l’existence des lettrés au xixe siècle, qu’il nous est impossible de ne pas voir dans cette grande et douloureuse figure la personnification d’une classe entière d’individus. C’est pourquoi Dieu, qui est souverainement juste, lui fera dans l’avenir une part de gloire d’autant plus large et d’autant plus incontestée, que sa vie a été plus tourmentée et plus amère. C’est pourquoi il nous appartient, à nous qui sommes les humbles sacristains d’un temple dont il fut, lui, le pontife radieux, de veiller à ce que ses autels soient toujours ornés de fleurs nouvelles, et à ce que l’encens brûle incessamment dans les cassolettes. — Que ces cassolettes soient d’or ou de cuivre, le métal ne fait rien à l’affaire. — Si l’encens est pur, la condition essentielle n’est-elle pas remplie ?

Lorsque nous entrâmes dans la salle, elle était comble, à l’exception des avant-scènes, de plusieurs loges de face et d’une certaine quantité de fauteuils d’orchestre loués d’avance et restés vides. Le hasard nous plaça à côté d’un homme de quarante-cinq ans, d’un très-grand air, habillé avec la plus exquise élégance et de qui la boutonnière était fleurie d’une rosette où se fondaient, dans un pêle-mêle harmonieux, tous les ordres de l’Europe et toutes les nuances de l’arc-en-ciel. On eût dit une de ces fleurs impossibles et charmantes que Diaz invente dans ses jours de soleil et de bonne humeur pour le plus grand désespoir des horticulteurs et pour la plus grande honte des jardiniers. Mon voisin parcourait l’Entr’acte d’un œil distrait, et je me complus à étudier cette tête fine et distinguée, me demandant si je n’avais pas eu déjà la bonne fortune de le rencontrer quelque part, et cherchant à mettre un nom sur sa figure. Quand il eut terminé sa lecture, il se leva, tourna le dos à la scène, tira de sa poche un binocle enveloppé dans un étui