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parses n’appartiennent jamais à l’humanité. Ce héros est le plus souvent quelque génie étrange dévoré de projets gigantesques et qui doit étonner la terre. S’il daigne en faire un artiste ou un homme politique, il sera plus fort que Michel-Ange ou Richelieu. Mais, me direz-vous, cela peut être vrai. D’accord, mais cela perd la physionomie réaliste. — Jetez dans un paysage de Paul Potter un troupeau de moutons bicéphales, — on a vu des moutons bicéphales, — vous aurez un paysage admirablement peint, mais point réel.

La seconde contradiction de M. de Balzac consiste donc dans une recherche excessive de la réalité sans cesse démentie par le démon de la fantaisie. — Nous allons voir cette contradiction se poursuivre jusque dans le procédé matériel de romancier.

Tout le monde a pu, comme nous, admirer avec quel charme M. de Balzac décrit un intérieur et un personnage. Les Mieris et les Metzu n’ont pas fait de plus belle peinture flamande. Le coup de brosse est d’une propreté merveilleuse, la touche, grasse et finie à la fois, la lumière savamment répandue. À ces soins extrêmes, à la finesse des coups de pinceau, vous reconnaissez une miniature accomplie… Malheureusement M. de Balzac fait de la miniature qui a cinq pieds six pouces. — Contradiction dans le procédé artistique.

On a souvent comparé M. de Balzac aux grands maîtres des siècles passés, on en a fait un moderne Lesage ; grave erreur : 1o  Lesage, comme la plupart des conteurs anciens, n’a jamais procédé par l’exception dans le choix de ses personnages. Ses abbés, ses voleurs, ses filous, ses comédiens, ses poëtes, ses grands seigneurs, sont des types généraux ; 2o  Lesage, Cervantes, Molière n’ont jamais fait de la miniature de grenadier, ils ont tracé comme Callot de la silhouette en deux coups de plume. Aussi M. de Balzac est-il le désespoir de l’illustration. Johannot, Gavarni, Meissonier, ont échoué contre cette contradiction qui le rend impossible à la gravure. Ils ont manqué, eux, les croquistes par excellence, le chevalier de Valois, le papa Gobseck e tutti quanti, tandis que le dernier rapin venu vous pourtrait, sans se tromper, un capitaine Rolando, un Cartadille ou un M. Tartuffe.

M. de Balzac est un génie moderne, plein de séve, d’étude et d’amour. Malgré les légères inobservances que nous avons signalées, il n’en restera pas moins dans son genre, le plus remarquable des romanciers actuels. Il honore les lettres, et nous l’en remercions ; car nous sommes pleins d’une passion filiale pour cette cohorte intelligente qui est appelée à jouer un si grand rôle dans l’avenir.

hippolyte castille

IX.La Comédie humaine, par M. de Balzac, par Eugène Pelletan. La Presse, 30 novembre 1846.

X.H. de Balzac, par Lerminier. Revue des Deux Mondes, 15 avril 1847.

XI.Pensées de H. de Balzac, par Paul de Molènes. Journal des Débats, 15 avril 1852.