Une haute et grave pensée se trouve sous cette donnée bizarre. La peau de chagrin, en effet, n’est que la personnification de passions ardentes et désordonnées qui colorent la vie, mais la rongent. Une philosophie froide, sceptique, amère ; un style nerveux, franc, quelquefois prétentieux ; des caractères largement dessinés d’un seul trait ; des scènes de boudoir et de salon neuves et vraies, et par-dessus tout un admirable tableau d’orgie plein de verve et de chaleur, rendent intéressante la lecture de ce livre ; c’est une œuvre de haut goût, qui sera mieux comprise par les esprits blasés que par les âmes candides, et que nous recommandons à nos lecteurs plus qu’à nos lectrices.
Il est des âmes susceptibles, des esprits prudes et délicats, qu’effarouche singulièrement la tendance actuelle de la littérature. Leurs doléances élégiaques sur la corruption du goût, la prétention au bizarre, l’amour du laid et du triste ont sans doute un côté plausible ; mais, s’il est vrai que les ouvrages publiés aujourd’hui portent presque tous une empreinte d’amertume et de misanthropie pénible au cœur, à qui la faute ? En accusant l’art, la société ne ressemble-t-elle pas à ces vieilles coquettes qui s’en prennent à leur miroir de leur laideur et de leurs rides ? Depuis un demi-siècle qu’un tremblement de terre nous secoue à plaisir, mœurs et croyances, empires et dynasties croulent de toutes parts. Au souffle des révolutions, la civilisation entière s’effeuille comme en automne un arbre fouetté par l’orage. En vain, par un instinct de conservation naturel à l’humanité, qui se débat jusque dans l’agonie, les théories, les systèmes, les doctrines bourgeonnent à l’envi autour de cet arbre qui menace ruine, et aspirent à le remplacer après sa chute ; le sol sur lequel les opinions contraires se disputent l’empire est miné ; la mort est partout, même dans la victoire, et l’on se bat pour le corps de Patrocle.
Il est possible que notre imagination voie trop en noir, et qu’au lieu de pourrir le monde fasse peau neuve. Nul ne sait l’avenir ; c’est un champ livré à toutes les conjectures sombres ou riantes. Mais le présent est clair et palpable, et il n’est personne qui n’ait au fond de son cœur le sentiment intime de ses déceptions et de sa misère. Le désenchantement et le septicisme, ces deux maladies du siècle, ont pénétré toutes les classes et altéré la physionomie des nations, surtout de la nôtre. L’ancienne et proverbiale gaieté française ne nous est plus connue que par tradition. Le sourire silencieux et tordu de Méphistophélès a remplacé le rire franc et épanoui de nos pères, le rire qui d’une oreille à l’autre va, comme allait, si l’on en croit le médisant Rabutin, le bec amoureux de la Vallière. Quel goût pourrions-nous prendre à une littérature melliflue et frisée ? Quelle saveur trouverions-nous à la poésie de Delille ou de Ducis, aux bergères en corset de Fontenelle, aux madrigaux musqués de Dorat, à une époque dont le type poétique est Byron, et le type grotesque, mais malheureusement trop fidèle, Mayeux. Demander à l’art de rester rose et réjoui, quand la société qui pose devant lui est blafarde et rongée jusqu’au cœur, c’est imiter ces habiles critiques qui reprochaient à Géricault la