Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Eh bien, qu’est-ce que c’était donc alors ? car vous me faites dessécher de peur !

— Eh bien, mon épouse…, le commissaire de police avait ses éperons !

29 décembre 1831.
XXXVI.
LE PORTIER DU CAMP DE MAUBEUGE.

Cette physionomie n’est pas assez large pour constituer une figure historique. Cependant, ce vieux grognard, qui n’est ni concierge ni suisse, mais gardien à lui seul de tout un camp, ressort éminemment de la ligne vulgaire des portiers.

Il y a quelque huit jours, ce camp, désert maintenant, retentissait de tambours et de clairons ; chaque pied de son poudreux terrain était foulé par de martiales manœuvres ; chacune de ses lignes parcourues par d’agiles coursiers ; la vie à double existence, la vie de guerre animait toute cette nature monotone ; enfin, trente mille hommes alors gardaient eux-mêmes le camp de Maubeuge.

Cent vingt mille francs ont été dépensés d’abord pour l’établissement de cette garde d’honneur dont on devait démontrer ensuite l’utilité. Les trente mille hommes ont disparu. On les retrouverait au besoin, épars sur le Rhône et l’Isère. Mais les cent vingt mille francs sont bien perdus pour le contribuable. Un contribuable et l’écu qu’il porta au fisc ne se rencontrent plus une seconde fois dans la vie. Et aujourd’hui, de ces dépenses belliqueuses, de tout ce luxe militaire, il ne reste plus rien qu’un simple portier.

Voyez-vous cette figure bizarre, exilée entre deux nations, portier d’un désert, d’un désert sans cour, étages, ni porte cochère ; portier pour ne tirer le cordon à personne ; pour répondre à des locataires absents ; seul maître de la cave au grenier, s’il y avait un grenier et une cave.

Aussi dort-il la grasse matinée sans que les porteurs de journaux, les palefreniers, le facteur ou les crieurs des rues, viennent troubler son sommeil. Seulement, il a ses denrées gastronomiques par provision, car la laitière et le boulanger ne sont pas à sa porte, ce qui a le désagrément de le priver des nouvelles du jour, de cette chronique débitée par l’épicier, commentée par la pratique, et classée au rang des matières solides entre une livre de beurre et une once de café.

Comme, après tout, on peut déjeuner sans nouvelles, le portier déjeune. Puis, pour tuer le temps jusqu’au dîner, il donne pendant une heure une leçon d’exercice à son chien, balaye un coin de son camp pendant dix minutes, et emploie le reste du jour à calculer combien d’années et de coups de balai exigera encore le nettoiement de la totalité de son domaine.

Et, après dîner, quand vient la nuit d’hiver avec ses ombres glaciales, ses brouillards pénétrants, pour lui point de réverbères à garnir pour de brillants escaliers, point de rhumes à braver pour ouvrir la porte à des équipages ; mais le silence auprès du feu, qui sert aussi de lumière à sa modeste cabine, avec le passé pour compagnon et les souvenirs pour rêveries. Oubli du présent qui agace,