Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et moi aussi…

L’affaire s’engage : le président fait beaucoup d’inintelligible bruit, il s’embrouille, balbutie, et ne trouve rien de mieux à dire, si ce n’est que, dans tous les mois possibles, le 18 est quatre jours après le 14 ; il fait de très-jolis efforts pour le prouver, et, admirez la puissance du talent, il y parvient…

Enfin, cette séance d’arithmétique judiciaire se termine, et de tous les divers groupes formés par l’auditoire surgissent de désagréables commentaires sur la scène improvisée par le président. Cependant, une seule opinion vient encore faire douter madame Duplex de tout ce qu’elle a vu et entendu, par de louangeuses observations et des remarques passablement honorables. Elle s’approche du cercle impartial pour se consoler aux sons de la voix amie…

C’était celle de son époux !

27 octobre 1831.
XXXII.
MANIÈRE CHINOISE DE SE MOQUER DES PERCEPTEURS.

Ceci se passait en Chine, fort peu de temps après l’invasion des Tartares. J’appelle Tartares une nuée de brigands qui, leur chef en tête et le nez camus, enjambèrent un beau jour la grande muraille (oh ! oui, c’était un bien beau jour !), et s’abattirent sur l’empire de Confucius, pour le déchiqueter entre eux. Comme ces animaux étaient fort affamés, les ressources ordinaires furent loin de suffire. On créa de nouveaux impôts, on en créa sur tout. Le Chinois ne put faire un pas, dire un mot, boire de l’eau même sans payer quelque droit. Il paya pour avoir une tête, des yeux et des poumons ; autrement dit, il fut soumis à une redevance pour chaque porte et pour chaque fenêtre. L’air respirable devint alors d’un prix exorbitant. Un centime de plus, et les riches seuls eussent pu s’en passer la fantaisie ; c’eût été du luxe. Mais déjà l’homme du peuple, dont le travail suffisait à peine au manger, au logement et à la couverture, l’ouvrier chargé d’une nombreuse famille, ne pouvait y atteindre ; il ne pouvait suffire à faire respirer sa femme et ses enfants. Il avait du riz gris, c’était possible, et de l’eau, et de la paille ; mais ce n’était pas assez : il lui fallait du soleil, il lui fallait de l’air, et l’air et le soleil étaient si fort renchéris, qu’il se voyait dans la nécessité de s’en passer.

Que fit alors le Chinois ? Le Chinois est industrieux : il nous a devancés de bien loin dans la civilisation ; il connaissait la poudre, que nous nous assommions encore ; il savait imprimer, que nous ne savions pas lire. Que fit-il donc ? Une révolution ? Hélas ! non ; ce sont de ces choses qu’on ne fait pas tous les jours. Il s’ingénia, sans sortir de l’ordre légal. La loi demandait tant par fenêtre : il boucha ses fenêtres. — La loi faisait commerce de tabac ; on ne fuma plus qu’une pipe par famille ; la fumée se repassait de bouche en bouche. — La loi exigeait tant par porte ; le Chinois boucha ses portes et ne sortit plus que par la cheminée. — La loi enfin percevait tant par tête d’homme, comme auparavant par tête d’animal ; le Chinois se fit enterrer tout vif. Une famille nécessiteuse, composée de huit indivi-