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dinal ; et il parviendra à attraper une gratification là où d’autres ne gagneraient que les étrivières.

Aussi, jugez quelle époque délicieuse pour l’activité de notre homme que celle de notre liberté ! Le voilà comme le poisson dans l’eau. Du matin au soir, il ne transpire que dénonciations, rébellions, sommations, suspicions, arrestations. C’est au point que, faute d’une prise dans la journée, par crainte de se rouiller, il serait capable de mettre la main sur le premier collet venu, quitte à trouver un motif après. Cette existence-là n’est qu’une longue crispation de geôle.

Adonc, le duc d’Orléans ne portant plus de chapeau gris, ni monsieur son père de cocarde tricolore sous son parapluie, il fut décidé que tout citoyen devait jeter par la fenêtre son chapeau gris s’il en avait un, en mettre un noir s’il n’en avait pas, et laisser chez lui sa cocarde tricolore avec son chat, sa femme et son bonnet de coton.

Et, dès le matin, l’œil à la piste, la main démangeuse, le serviteur de la police, entouré de dévouements à tous prix, était sur la place de la Bastille qui flairait la sédition, se carrant comme un soldat français au matin d’une bataille.

D’abord passe un jeune homme, le nez en l’air comme un curieux, les bras ballants comme un oisif.

— Monsieur, je vous arrête, lui dit notre homme en le saisissant par son habit, sans doute pour estimer la finesse du drap.

— Bah ! lui répond l’étudiant, et pourquoi donc ?

— Parce que vous portez un chapeau gris à cocarde tricolore et que nous avons un roi citoyen.

— Ah ! c’est juste, dit le jeune homme.

Et, en fredonnant la Parisienne :

« … D’Orléans, toi qui l’as porté… »

il suit, insouciant, les gardes qui le conduisent au violon.

Après celui-là arrive un monsieur, chapeau en tête, comme tous les gens qui ne portent ni casquette ni bonnet à poil.

— Monsieur, lui dit le serviteur de la police, je vous arrête.

— Bah ! et pourquoi donc ? demande le bourgeois.

— Parce que vous n’avez pas de cocarde à votre chapeau ; ce qui prouve évidemment que vous en avez une dans votre poche.

Il fallait que l’homme au chapeau fût un terrible raisonneur, car il paraissait vouloir rétorquer cet argument ; mais un détachement de gardes nationaux qui l’emmena ne lui en permit pas le loisir.

La place aussi judicieusement balayée pour éviter les accidents de la foule, passe un individu, sans doute habitant des environs, car il était venu tête nue, sans façon, comme un voisin. Il lève le nez pour voir s’il ne trouvera pas quelque visage de connaissance, ou, à défaut de ce, au moins celui de l’éléphant ; mais c’est le visage du serviteur de la police qu’il rencontre.

— Individu, lui dit celui-ci, vous allez me suivre au corps de garde.