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Troisième Agent. — Ah ! monsieur le préfet, la cérémonie est flambée ! Pas moyen d’avoir un bal sans danseurs, et les officiers ne veulent pas venir s’il y a des bourgeois, parce que ceux-ci les ont insultés. — Impossible de composer une réunion un peu propre, s’il n’y a pas quelques vieilles têtes de magistrats. Ces vieux entêtés-là ne veulent pas venir s’ils n’ont point la préséance sur la noblesse. — La noblesse ne viendra point, si elle n’a le pas sur la magistrature. — Jusqu’aux bourgeois qui font les difficiles et resteront chez eux si le candidat libéral n’est pas nommé aux élections !

Le Préfet. — Diable ! diable ! Je n’avais pas prévu tous ces embarras-là !… Eh bien, mon ami, mon excellent ami, tu vas retourner chez tous ces ambitieux. Dis aux officiers qu’il n’y aura pas un seul bourgeois ; aux magistrats, qu’ils auront la préséance ; à la noblesse, qu’elle aura le pas (dire lequel, par exemple, je n’en sais rien) ; enfin aux bourgeois, que le candidat libéral sera nommé, par la raison toute simple que les votes sont libres, et que, par conséquent, cela ne dépend pas de moi. Dis tout cela, mon ami, et nous aurons ce soir une fête superbe, éblouissante, séduisante.

Dix heures du soir.

L’hôtel de ville est illuminé, une musique harmonieuse électrise une partie de la société déjà arrivée ; l’allégresse est générale.

Trois heures du matin.

Des cris remplacent le son des instruments, les lustres sont brisés, les invités se prennent aux cheveux ; le tumulte est au comble.

Deux Musiciens, sortant du champ de bataille. — Eh bien, Colophane, chacun, ce soir, a été joué comme il faut ; nous avons vu là une fameuse danse ! Reste à savoir maintenant qui payera les violons !

28 avril 1831.
XIX.
UN CONCILIABULE CARLISTE.

Mon compagnon frappa mystérieusement trois coups à une petite porte qui s’ouvrit comme d’elle-même, et nous entrâmes.

— Ah çà, lui dis-je, vous m’avez mené à une loge de francs-maçons ?

— Non, me répondit-il à demi-voix, je vous ai mené à un conciliabule, et à un conciliabule carliste encore.

Cela me parut chose digne d’être vue, et je le suivis en silence, tandis qu’il montait un noir escalier en colimaçon, qu’il enfilait trois obscurs corridors et qu’il escaladait une petite échelle qu’on retira quand nous fûmes parvenu au faîte.

Nous étions dans la salle des séances, qui était tout simplement un vaste grenier, sur les murs duquel on avait attaché quelques tapisseries représentant des martyrs, des saints et des rois de France.