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enfonce pas moins son doigt dans l’œil, bien que ce soit le plus moelleusement du monde, suivant les règles de l’art et avec plus de grâce que quiconque.

Aussi, quand ces deux messieurs sont en scène, à voir les battements effrayés de l’un et les embrassements interminables de l’autre, le compositeur s’informe de ce qu’est devenue sa musique, le souffleur se réfugie dans son arrière-trou, le public se demande où il est, et tout le monde a l’air prodigieusement satisfait.

3 mars 1831.
XII.
RÉCIPROCITÉ.

Une heure du matin. — Rue déserte.

— Monsieur, pourriez-vous me dire l’heure, s’il vous plaît ?

— Je n’ai pas de montre.

— Seulement l’heure approximative.

— Onze heures.

Le premier individu, tirant vivement sa montre. — Eh bien, vous allez joliment ! Il est une heure un quart.

Le second individu, tirant la sienne. — Vous avancez de dix minutes !… Mais, au fait, monsieur, puisque vous avez une montre, pourquoi votre demande ?

— Mille pardons, monsieur ; c’est que je craignais que vous ne fussiez un voleur, et, pour prévenir une question désagréable, j’ai pris l’initiative. Du reste, mon innocence est prouvée par le premier mouvement consciencieux qui m’a fait inconsidérément tirer mon régulateur. Je suis horloger.

— Pardon alors, monsieur, de la sécheresse de mes réponses. Je craignais pareillement que voleur vous ne fussiez. Au reste, la même raison m’a fait tirer inconsidérément mon régulateur. Je suis aussi horloger. — Ainsi, confrère, vous avancez.

— C’est vous qui retardez.

— Laissez donc !

— Ah ! oui.

Les deux interlocuteurs se touchent la main.

— Adieu, confrère qui avancez.

— Adieu, confrère qui retardez.

Cinq minutes après.

Chacun des horlogers, à part soi. — C’est égal, j’ai toujours prouvé au confrère, clair comme le jour, que c’est lui qui va mal.

10 mars 1831.