Le jeune homme que madame d’Esther nommait son espion appartenait à l’une de ces catégories sociales entièrement ruinées par les barricades de Juillet. — C’était le neveu d’un pair de France !… — Or, presque toutes les industries tuées en juillet 1830 ont reçu peu ou prou de mesquines indemnités ; mais celle des neveux de pairs de France a été complètement détruite, sans que la moindre souscription ait dédommagé les victimes. Être neveu d’un pair de France était jadis un état, une position : c’était au moins un titre qui éclipsait même le nom patronymique d’un jeune homme ; et à cette question faite sur lui : « Qui est-il ?… » tout le monde répondait :
— C’est le neveu d’un pair de France !…
Ce bienheureux népotisme valait une dot ; il impliquait un brillant avenir, il supposait la pairie pour la seconde génération : le neveu d’un pair de France était l’espérance incarnée.
Or, ayant tout perdu, fortune positive et fortune problématique ; de chiffre, étant devenu zéro, M. de Villaines s’était vu dans la cruelle nécessité d’être quelque chose par lui-même. Il tâchait donc de passer pour un homme spécial, et, depuis deux ans, s’occupait de beaux-arts.
Les beaux-arts semblent n’exiger aucune étude sérieuse chez les gens qui aspirent à les diriger. Il leur faudrait bien, à la vérité, avoir quelque haute pensée, comprendre leur siècle, et sentir vivement les grandes conceptions ; mais qui n’a pas la prétention de se connaître aux arts ?… Alors, la capacité de l’homme auquel les gouvernements confient cette importante direction ne peut résulter que d’une croyance. Donc, le but des intrigants sans âme, et à qui trop souvent les destinées de l’art ont été remises, a toujours été d’accoutumer le public à croire en eux.
M. de Villaines, homme d’esprit et d’une grande finesse, envieux comme tous les ambitieux, prenait le devant sur ses rivaux en flattant les artistes ; en publiant des ouvrages spéciaux ; en comptant des colonnes renversées ; en rétablissant le texte d’inscriptions inutiles ; en demandant la conservation de quelques monuments que personne ne songeait à détruire ; enfin, pour avoir le droit d’administrer les ruines de la France, il enrégimentait les débris de l’Asie, de Palmyre, de Thèbes aux cent portes, et faisait graver les tombeaux de l’Égypte ou de la Sicile.