— Madame, répondit le défenseur de la poésie hydrocyanique, je vous le demande, s’est-il jamais rencontré de jeune fille qui, après avoir vu jouer Phèdre, ait emporté une idée bien exacte de la moralité contenue dans cette tragédie ?…
La discussion continua fort vivement, et le jeune homme qui, en entendant parler haut, avait interrompu la conversation commencée avec sa voisine, la reprit aussitôt.
La jeune dame à laquelle il paraissait si vivement s’intéresser était une des femmes de Paris qui subissaient alors le plus d’hommages et de flatteries. Mariée depuis quatre ans à un homme de finance, admirablement jolie, ayant une physionomie expressive, de charmantes manières et du goût, elle était le but de toutes les séductions imaginables.
Les jeunes fils de famille, riches et oisifs ; les gens de trente ans, si spirituels ; les élégants quadragénaires, ces émérites de la galanterie, si habiles, si perfides, grâce à de vieilles habitudes ; enfin tous ceux qui, dans le grand monde, jouaient le rôle d’amoureux par état, par distraction, par plaisir, vocation ou nécessité, semblaient avoir choisi madame d’Esther pour en faire ce que l’on nomme à Paris une femme à la mode.
La supposant mal défendue par un banquier, ou pensant que peut-être l’âge et les manières de son mari devaient lui avoir donné quelque aversion secrète du mariage, ils cherchaient à l’entraîner dans ce tourbillon de fêtes, de voyages, d’amusements faux ou vrais, au milieu duquel une femme, en se trouvant toujours en dehors d’elle-même, ne peut plus être elle. Au sein de cette atmosphère de bougies, de gaze, de fleurs, de parfums ; dans ces courses rapides et sans but, où force lui est d’obéir aux exigences d’une perpétuelle coquetterie d’esprit et au besoin de lutter avec des rivales, à peine une femme peut-elle réfléchir ; alors, tout est complice de ses étourderies, de ses fautes : hommes et choses. Puis, si,