Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/213

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une plante, existe cent ans, tandis que l’artiste créateur doit mourir jeune ? « Où est le soleil, là est la pensée ; où est le froid, là est le crétinisme, là est la longévité, est-il dit dans Louis Lambert. Ce fait est toute une science. » Ces paroles, et beaucoup d’autres qui les étendent ou les confirment, semées dans cent pages de M. de Balzac, expliquent ses Études philosophiques.

Avant d’arriver à la société composée d’hommes, l’auteur a dû s’appliquer à décomposer l’homme, qui en est pour ainsi dire l’unité. Or, les critiques n’ont pas vu que la Peau de chagrin est un arrêt physiologique, définitif, porté par la science moderne, sur la vie humaine ; que cet ouvrage en est l’expression poétique, abstraction faite des individualités sociales. L’effet produit par le désir, par la passion, sur le capital des forces humaines, n’y est-il pas magnifiquement accusé ? De là cette morale que peignait si énergiquement le caporal Trim, par le moulinet qu’il trace en l’air avec son bâton et dont M. de Balzac a fait une épigraphe si mal comprise par la plupart des lecteurs. Peu de personnes ont vu qu’après un tel arrêt porté sur notre organisation, il n’y avait d’autres ressources, pour la généralité des hommes, que de se laisser aller à l’allure serpentine de la vie, aux ondulations bizarres de la destinée. Donc, après avoir poétiquement formulé, dans la Peau de chagrin, le système de l’homme, considéré comme organisation, et en avoir dégagé cet axiome : « La vie décroît en raison directe de la puissance des désirs ou de la dissipation des idées, » l’auteur prend cet axiome comme un cicérone prend la torche pour vous introduire dans les souterrains de Rome, il vous dit : Suivez-moi ! Examinons le mécanisme dont vous avez vu les effets dans les Études de mœurs ! Alors, il fait passer sous nos yeux les sentiments humains dans ce qu’ils ont de plus expressif en comptant sur votre intelligence pour revenir par des dégradations aux crises moins fortes dont se composent les événements de la vie individuelle. Il s’élance, il montre l’idée exagérant l’instinct, arrivant à la passion, et qui, incessamment placée sous le coup des influences sociales, devient désorganisatrice. Ainsi, dans l’Adieu, l’idée du bonheur, exaltée à son plus haut degré social, foudroie l’épouse, et par épouse l’auteur entend nécessairement l’épouse et l’amante. Dans le Réquisitionnaire, c’est une mère tuée par la violence du sentiment maternel. Voilà donc la femme considérée sous ses trois faces sociales, comme amante, comme épouse, comme mère, et devenant, sous ses trois aspects, victime de l’idée. Dans el Verdugo, c’est l’idée de dynastie mettant une hache dans la main d’un fils, lui faisant commettre tous les crimes en un seul. « Là, dit encore M. Ph. Ch. (Philarète Chasles), le parricide est ordonné par une famille et au nom d’une chimère sociale, le parricide pour sauver un titre ! » Voyez comme, dans l’Élixir de longue vie, l’idée hérédité devient meurtrière à son tour, et combien est acéré le poignard qu’elle met dans la main des enfants ! Suivez-moi, si vous en avez le courage ! Venons assister ensemble à ce terrible drame exécuté au bord de la mer ! Le voyez-vous, ce pénitent sinistre, assis immobile au haut de son rocher ? Eh bien, là encore l’idée a porté ses ravages ! la paternité, à son tour, est devenue tueuse. Ce pénitent est un père qui a noyé son fils parce qu’il soupçonnait en lui des instincts que la société réprouve, et s’est fait meurtrier pour que son fils ne le devint pas. Idée sublime ! Examinez maintenant cette autre étude, dont le titre