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peut-être, avant de dévoiler son plan au public, voulait-il essayer ses forces ; peut-être attendait-il, pour dégager l’édifice de ses échafaudages et de son enceinte de planches, que plusieurs sculptures fussent achevées, que les principales lignes fussent dessinées, et qu’au moins le fronton s’élevât large et pur.

Mieux informé que ne l’ont été certains critiques empressés déjà d’attaquer M. de Balzac par le côté biographique, et qui l’ont peint fort inexactement, nous avons eu des renseignements sur la partie la plus studieuse et la plus inconnue de sa vie, sur son moment le plus poétique. Ce fut aux jours d’une misère infligée par la volonté paternelle, alors opposée à la vocation du poète, et qui nous ont valu le beau récit de Raphaël dans la Peau de chagrin, ce fut pendant les années 1818, 1819 et 1820 que M. de Balzac, réfugié dans un grenier près de la bibliothèque de l’Arsenal, travailla sans relâche à comparer, analyser, résumer les œuvres que les philosophes et les médecins de l’antiquité, du moyen âge et des deux siècles précédents, avaient laissées sur le cerveau de l’homme. Cette pente de son esprit est une prédilection. Si Louis Lambert est mort, il lui reste de Vendôme un autre camarade, également adonné aux études philosophiques, M. Barchou de Penhoën, auquel nous devons déjà de beaux travaux sur Fichte, sur M. Ballanche, et qui pourrait attester au besoin combien fut précoce chez M. de Balzac le germe du système physiologique autour duquel voltige encore sa pensée, mais où viennent se rattacher par essaims les conceptions qui peuvent paraître isolées. De ces premières études a donc surgi une œuvre scientifique dont nous aurions volontiers développé le but, mais que les confidents de l’auteur nous ont conseillé de tenir dans l’ombre jusqu’au jour où il l’aura suffisamment méditée et où elle pourra sans danger se produire dans toute son étendue. Cette science exigeait trop de temps, trop de fortune peut-être, pour devenir l’occupation exclusive d’une jeunesse nécessairement inexpérimentée ou précaire. D’ailleurs bientôt de graves intérêts auxquels on a fait allusion, contrairement aux lois de la bienséance littéraire, condamnèrent M. de Balzac à des travaux qu’aucun critique n’a pu encore embrasser dans leur ensemble. Quoique mystérieusement enfermées, ces occupations primitives et la pente entraînante d’un esprit métaphysique dominèrent les œuvres auxquelles s’adonna M. de Balzac par nécessité. Ses connaissances, aussi variées qu’étendues, transpirèrent et teignirent si vigoureusement ses premiers essais, que certaines personnes auxquelles l’auteur de la Physiologie du Mariage était inconnu, attribuaient ce livre à un vieux médecin ou à quelque vieillard enfin veuf ! Ainsi que nous le disions, le jour où l’artiste a quitté l’envers de sa tapisserie pour voir le dessin de son fil et ce que produisaient ses couleurs, il s’est aperçu que, malgré lui peut-être, il développait le texte qu’il avait dans l’âme, qu’il déduisait les preuves de sa science cachée, qu’il faisait une œuvre analytique dont il portait la synthèse en lui-même, qu’il exprimait le drame et la poésie de son monde avant d’en mettre au jour les formules physiologiques.

Cette digression était nécessaire pour faire comprendre dans son entier le système de ces deux ouvrages et les liens qui les unissent.

Nous avons établi que les Études de Mœurs étaient une exacte représentation de tous les effets sociaux, une galerie de tableaux heureusement divisée en salles