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LA PEAU DE CHAGRIN
roman philosophique
Par M. de Balzac.
Deux volumes in-8o, avec des dessins de Tony Johannot. Prix 15 francs, chez Ch. Gosselin, rue Saint-Germain-des-Prés, no 9.

Si nous dérogeons à nos habitudes satiriques, et si nous abdiquons le pouvoir de la moquerie en faveur de ce livre ;

Ce n’est pas parce qu’il a le plus brillant succès ;

Ni parce qu’il tire violemment le lecteur de l’époque actuelle, de ses misères, de ses grandeurs, de la politique boiteuse, de la propagande qui marche ;

Ni parce qu’il a une haute portée de morale et de philosophie ;

Ni parce que, suivant l’admirable expression du premier critique qui en ait parlé, « notre société cadavéreuse y est fouettée et marquée en grande pompe sur un échafaud, au milieu d’un orchestre tout rossinien » ;

Ni parce que la vie humaine y est représentée, formulée, traduite, comme Rabelais et Sterne, les philosophes et les étourdis, les femmes qui aiment et les femmes qui n’aiment pas la conçoivent ; drame qui serpente, ondule, tournoie, et au courant duquel il faut s’abandonner, comme le dit la très-spirituelle épigraphe du livre.

(Sterne, Tristam Shandy, chap. 322.)

Ni parce que le style le plus éblouissant encadre ce conte oriental, fait avec nos mœurs, avec nos fêtes, nos salons, nos intrigues et notre civilisation, qui tourne sur elle-même, et augmente l’intensité de son tourbillon sans y mettre plus de bonheur qu’il n’y en avait hier, qu’il n’y en aura demain ;

Ni parce que l’amour y est ravissant comme l’amour, l’amour jeune, l’amour trompé, l’amour heureux ;

Ni parce que la vie du jeune homme riche de cœur et pauvre d’argent y est jetée comme un brandon entre l’insensibilité de la coquetterie et la passion réelle de la femme.

Mais nous recommandons cet ouvrage à ceux qui aiment la belle littérature et les émotions, parce que nous avons autant d’amitié que d’admiration pour M. de Balzac.

Si ce n’est pas de l’adresse, au moins il y a dans cet aveu de la franchise, ce qui est rare en fait de journalisme.