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vides… Un ou deux étrangers, dont les figures méridionales brûlaient de désespoir et d’avidité, tranchaient auprès de ces vieux visages experts des douleurs du jeu, et semblables à d’anciens forçats qui ne s’effrayent plus des galères… — Les tailleurs et les banquiers immobiles jetaient sur les joueurs ce regard blême et assuré qui les tue… Les employés se promenaient nonchalamment. Sept ou huit spectateurs, rangés autour de la table, attendaient les scènes que les coups du sort, les figures des joueurs et le mouvement de l’or allaient leur donner. Ces désœuvrés étaient là, silencieux, attentifs… Ils venaient dans cette salle comme le peuple va à la Grève. Ils se regardèrent des yeux les uns les autres au moment où le jeune homme prit place devant une chaise, sans s’y asseoir.

— Faites le jeu !… dit une voix grêle.

Chaque joueur ponta.

Le jeune homme jeta sur le tapis une pièce d’or qu’il tenait dans sa main, et ses yeux ardents allèrent alternativement des cartes à la pièce, de la pièce aux cartes. Les spectateurs n’aperçurent aucun symptôme d’émotion sur cette figure froide et résignée pendant le moment rapide que dura le plus violent combat par les angoisses duquel un cœur d’homme ait été torturé. Seulement, l’inconnu ferma les yeux quand il eut perdu, et ses lèvres blanchirent ; mais il releva bientôt ses paupières, ses lèvres reprirent leur rougeur de corail, il regarda le râteau saisir sa dernière pièce d’or, affecta un air d’insouciance et disparut sans avoir cherché la moindre consolation sur les figures glacées des assistants.

Il descendit les escaliers en sifflant le Di tanti palpiti, si bas, si faiblement, que lui seul, peut-être, en entendait les notes ; puis il s’achemina vers les Tuileries d’un pas lent, irrésolu, ne voyant ni les maisons, ni les passants, marchant comme au milieu du désert, n’écoutant qu’une voix, — la voix de la mort, — et perdu dans une méditation confuse, où il n’y avait qu’une pensée…

Il traversa le jardin des Tuileries, en suivant le plus court chemin pour se rendre au pont Royal ; et, s’y arrêtant au point culminant des voûtes, son regard plongea jusqu’au fond de la Seine…

Dans la Revue des Deux Mondes de mai 1833 parut un autre fragment intitulé une Débauche ; il était accompagné de la note suivante, qui se rapporte à la page 46, ligne 30, aux mots « et Canalis ? » nom auquel, dans la première édition, était substitué celui de Victor Hugo :

Obligé de donner de l’actualité à son livre, l’auteur a fait parler dans ce banquet les convives avec la liberté que supposent le vin et la bonne chère ; mais il espère que son opinion sur des hommes dont il estime sincèrement les ouvrages ne sera pas suspectée.

Il faut remarquer que, dans la première version de ce fragment, qui va de la page 37, dernier paragraphe, à la page 53, ligne 10, tous les noms cités étaient des noms de personnages réels que Balzac remplaça plus tard par ceux des acteurs de la Comédie humaine ;