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vers la chambre funèbre, il présuma que dans ce moment il allait pénétrer le mystère dont l’inconnu s’était enveloppé jadis. À l’approche du prêtre, le moribond fit un signe impérieux à ceux dont il était entouré, et trois personnes sortirent de la chambre.

Le vieux prêtre, s’attendant à des aveux intéressants, demeura seul avec son pénitent. Une lampe éclairait d’un jour doux le lit où gisait l’inconnu, de sorte que l’abbé put facilement reconnaître en lui son ancien bienfaiteur. Il paraissait calme, résigné, et fit signe à l’ecclésiastique de s’approcher.

— Monsieur, lui dit-il d’une voix affaiblie, je crois être en droit de réclamer de vous un service que je regarde comme important pour moi, et qui ne vous obligera, j’espère, à aucun devoir pénible.

Là, il s’interrompit pour prier le prêtre de prendre un paquet soigneusement cacheté qui se trouvait sur une table.

— Ces papiers, reprit-il, contiennent des observations et des documents qui ne doivent être appréciés que par une personne d’honneur, de probité, et qui n’appartienne pas à ma famille. Le zèle, des considérations d’orgueil ou des tentations qu’on ne saurait prévoir, peuvent abuser des cœurs intéressés à la mémoire d’un père, d’un ami, d’un parent. Mais, en vous les confiant, je crois les remettre à la seule personne que je connaisse en état d’apprécier ces écrits à leur juste valeur. J’aurais pu les brûler ; mais quel est l’homme, si bas que l’ait placé le sort, qui ne prétende à l’estime de ses semblables ?… Je vous en constitue donc le seul maître. Un jour viendra peut-être où nous pourrons être jugés ici-bas, comme je vais l’être au tribunal de Dieu ! Acceptez-vous ce fidéicommis ?…

L’abbé inclina la tête en signe d’assentiment ; et, après avoir appris du malade qu’il avait reçu tous les secours de la religion, il crut lire dans ses regards le désir de voir sa famille.

Alors il lui adressa quelques paroles de consolation, le gronda très-affectueusement de n’avoir pas réclamé une plus grande récompense des services qu’il lui avait rendus, puis il sortit. Deux personnes de la famille accompagnèrent et éclairèrent le vieux prêtre jusqu’à la porte où la voiture l’attendait.

Quand l’abbé se trouva seul dans la rue, il regarda autour de lui pour reconnaître le quartier où il se trouvait.

— Connaissez-vous le nom de la personne qui demeure ici ? demanda-t-il au cocher.

— Monsieur ne sait pas d’où il sort ?… répliqua l’homme en manifestant un étonnement profond.

— Non, dit l’abbé.

— C’est la maison de l’exécuteur public.

Quelques jours après cette scène, mademoiselle de Charost, qui depuis longtemps était souffrante, succomba ; et l’abbé de Marolles rendit les derniers devoirs à sa vieille et fidèle amie. Le convoi modeste de l’ancienne religieuse de l’abbaye de Chelles rencontra dans la rue des Amandiers un autre convoi, à la suite duquel il marcha.