Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Le jeune homme, ayant attendu un moment comme pour ne pas interrompre le vieillard, lui répondit :

— Cette personne, monsieur, est à l’extrémité, et désire vous entretenir.

Le prêtre se leva tout à coup et suivit le jeune ambassadeur, qui fit à la compagnie un salut empreint de cette grâce sans apprêt, fruit d’une éducation soignée.

L’abbé de Marolles trouva auprès du perron de l’hôtel une voiture dans laquelle le jeune homme était probablement venu. Le trajet fut très-long, car l’abbé traversa presque tout Paris. Quand il arriva au pont Neuf, il essaya d’entamer la conversation avec son compagnon, qui gardait un profond silence.

— Vous êtes peut-être le fils de la personne chez laquelle nous nous rendons ? demanda-t-il.

— Non, monsieur, répondit l’inconnu ; mais il m’a rendu de tels services, que je puis le regarder comme mon second père…

— Il paraît qu’il est très-bienfaisant ? reprit l’abbé.

— Oh ! monsieur, Dieu seul peut savoir les services qu’il a rendus. Quant à ce qui me regarde, il a sauvé ma mère de l’échafaud, la veille du 9 thermidor…

— Je lui dois aussi beaucoup !… dit l’abbé. — Mais vous le connaissez ?… ajouta-t-il.

— Oui, répondit le jeune homme. Et l’inflexion traînante avec laquelle il prononça ce mot marquait un étonnement profond.

Alors les deux voyageurs gardèrent mutuellement le silence. L’inconnu avait compris que l’abbé ignorait le nom de l’homme chez lequel ils se rendaient ; et, respectant un secret qui ne lui appartenait pas, il se promettait de ne pas le trahir. De son côté, M. de Marolles avait deviné, au seul accent de la voix de son compagnon, qu’il y avait un mystère à découvrir là où il allait, mais que son compagnon serait discret.

L’ecclésiastique chercha une question insidieuse à faire ; mais ils arrivèrent avant qu’il l’eût trouvée, car c’est souvent quand on veut avoir de la finesse et de l’esprit, qu’on en a le moins. Le vénérable prêtre voulut voir, dans l’infirmité de son moral, une sorte de châtiment de l’intention malicieuse et de la curiosité qu’il avait eues.

La voiture s’arrêta dans une rue assez déserte et devant une maison de peu d’apparence. Le jeune guide de l’ecclésiastique lui fit traverser un jardin qui se trouvait derrière le corps de logis bâti sur la rue, et ils parvinrent ensemble à une petite maison. Ce bâtiment avait un air de propreté qui annonçait une certaine aisance. L’abbé monta un escalier assez élégant et entra dans un appartement très-bien décoré.

Il trouva dans le salon une famille en pleurs. À l’aspect des objets d’art épars autour de lui, il ne douta pas qu’il ne fût chez un homme riche. Il aperçut un piano, des tableaux, des gravures et des meubles fort beaux. Il fut salué silencieusement et avec respect. Son jeune introducteur, qui s’était empressé d’aller dans la chambre voisine, revint lui annoncer que rien ne s’opposait à ce qu’il remplît les tristes et consolantes obligations que lui imposait son ministère.

Un mouvement de curiosité involontaire s’empara de l’abbé. En se dirigeant