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III
UN ESPION À PARIS
le petit père fromenteau, bras droit des gardes du commerce.

les comédies qu’on peut voir gratis à paris.

Nous avions bien déjeuné au Palais-Royal. En artistes régalés, nous étions disposés à rire, quoique nous eussions un rendez-vous chez un gérant de journal dont le caractère et la caisse se recommandent par des mouvements comparables à ceux des marées.

Le valet de chambre de ce grand homme d’affaires nous fit attendre en intimes que nous étions ; mais, nous ayant dit que Monsieur était en conférence avec un homme qui lui vendait l’incarcération d’un insaisissable débiteur, nous échangeâmes un regard et violâmes la consigne, en gens affriandés par la caricature que promettait cette annonce.

Ce père Fromenteau, voyez-vous, est tout un poëme, mais un poëme parisien. À son aspect, vous devineriez, comme nous le devinâmes de prime abord, que le Figaro de Beaumarchais, le Mascarille de Molière, les Frontin de Marivaux et les Lafleur de Dancourt, ces grandes expressions de l’audace dans la friponnerie, de la ruse aux abois, du stratagème renaissant de ses ficelles coupées, sont quelque chose de médiocre en comparaison de ce colosse d’esprit et de misère.

Quand, à Paris, vous rencontrez un type, ce n’est plus un homme, c’est un spectacle ! Ce n’est plus un moment de la vie ni une existence, c’est plusieurs existences !

Cuisez trois fois dans un four un buste de plâtre, vous obtenez une espèce d’apparence bâtarde de bronze florentin. Eh bien, les éclairs de malheurs innombrables, les nécessités de positions terribles, ont bronzé la tête de Fromenteau comme si la sueur d’un four avait par trois fois déteint sur son visage.

Les rides très-pressées ne peuvent plus se déplisser, elles forment des plis éternels, blancs au fond. Cette figure jaune est toute rides. Le crâne, semblable à celui de Voltaire, a l’insensibilité d’une tête de mort ; et, sans quelques cheveux à l’arrière, on douterait qu’il fût celui d’un homme vivant. Sous un front immobile, s’agitent, sans rien exprimer, des yeux de Chinois exposés sous verre à la porte d’un magasin de thé, des yeux factices qui jouent la vie, et dont l’expression ne change jamais. Le nez, camus comme celui de la Mort, nargue le Destin, et la bouche, plus serrée que celle d’un avare mais toujours ouverte, est néanmoins discrète autant que le rictus d’une boîte à lettres. Calme comme un sauvage, les mains hâlées, Fromenteau, petit homme sec et maigre, se recommande par une attitude diogénique pleine d’insouciance, qui ne peut jamais se plier aux formes du respect. Et quels commentaires de sa vie et de ses mœurs ne sont pas écrits dans son costume pour ceux qui savent déchiffrer un costume ! Quel pantalon surtout ! un pantalon de recors, noir et luisant comme l’étoffe dite voile, avec