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plus chastes pinceaux, ou des couleurs plus vives ? J’en passe et des meilleures…

Aussi, comme le public attentif à toutes les nouveautés s’inquiète de l’apparition d’un livre de M. de Balzac… Un livre de cet écrivain, c’est un succès ; c’est-à-dire une fortune pour l’éditeur, une joie pour le lecteur ; qu’on se reporte pour un instant à quelques années, après 1831, et l’on se rappellera sans peine quelle émotion, quelle avidité, quelle curiosité folle, ardente, inouïe, accueillait chaque production nouvelle de M. de Balzac… Il y avait de tout dans ces productions : du rire et des larmes, de l’action et de l’analyse, du drame et de l’observation. C’est ainsi qu’ont paru, soulevant de tous côtés un concert unanime de bravos, la plupart des livres que vous connaissez… Eugénie Grandet, le Père Goriot, la Physiologie du Mariage, le Lys dans la vallée, Modeste Mignon, le Curé de village, les Petites Misères de la Vie conjugale, les Parents pauvres, le Provincial à Paris ; et jamais l’auteur ne s’est fatigué, jamais le public ne s’est blasé…

Lorsque le roman-feuilleton opéra dans la littérature moderne cette révolution que vous savez, on aurait pu croire que M. de Balzac, talent d’observation et d’analyse, se trouverait mal à l’aise entre les maigres colonnes du feuilleton, et qu’il se garderait de tenter jamais cette nouvelle voie. Après tout, il avait assez fait pour sa réputation, pour sa gloire ; il n’avait pas besoin d’une publicité nouvelle ou plus étendue, son nom était connu, aimé, admiré ; le journalisme ne pouvait rien ajouter à sa couronne ; il eût pu se retirer de la lice, qu’il n’eût été ni moins grand ni moins complet. Mais, comme nous le disions en commençant, M. de Balzac a été vu sur toutes les brèches, il a pris sa part dans toutes les batailles, sa gloire dans tous les triomphes ; il n’a pas voulu que l’on pût lui montrer une seule voie qu’il n’eût pas tentée ; c’est sa nature, d’ailleurs, d’être hardi, aventureux, d’aller en avant toujours, cherchant sans trêve des chemins ignorés ; les journaux s’ouvrirent à l’envi devant cet hôte connu et déjà apprécié, et M. de Balzac retrouva pour cette nouvelle littérature un nouvel élan qui rappelait les jours les plus actifs de sa jeunesse littéraire, et il se remit à écrire avec cette même fécondité variée qui est un des dons les plus heureux dont la nature l’ait doué.

C’est alors que parurent : Modeste Mignon, la Lune de Miel et le Provincial à Paris.

Nous n’avons pas la prétention d’analyser une à une les productions de M. de Balzac, ni de rappeler, dans ces quelques pages, l’histoire de sa vie littéraire ; ce serait pour nous une tâche trop rude, et nous ne nous en sentons ni la force ni le talent.

Toutefois, nous voulons nous résumer en terminant et dire un dernier mot sur ce talent qui, malgré toute l’admiration dont il est entouré, ne nous semble pas occuper la place qui lui est due. L’avenir la lui fera plus élevée encore, nous n’en doutons pas ! Les hommes comme M. de Balzac ne sont réellement grands, que lorsqu’ils ne sont plus : et, à ce propos, qu’on nous permette d’ajouter que, dans toutes les nomenclatures littéraires des différents siècles qui ont donné au monde les hommes dont il s’honore à juste titre, nous ne voyons qu’un seul nom auprès duquel nous placerions volontiers M. de Balzac… Et ce nom, c’est Molière.

Qu’est-ce donc que Molière, sinon le poëte qui a peint avec le plus de vérité, la