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tionnel de trois notes que nous allons transcrire ici ; la première, publiée dans le numéro du 20 octobre 1846, a trait au titre de comte de Forzheim donné par l’empereur au général Hulot (page 4, ligne 2), et à la situation d’adjoint attribuée à Crevel, changée aujourd’hui en celle d’ancien adjoint (page 3, ligne 10) ; la voici :

Le profond respect que je porte à la grande armée et à l’empereur, m’oblige à répondre à la lettre suivante, qui m’est adressée par la voie du Constitutionnel :

Monsieur,

Dans votre nouveau roman : les Parents pauvres, il vous plaît de faire conférer par l’empereur, au général Hulot, le titre de comte de Forzheim. En vérité, l’empereur n’aurait mieux su s’y prendre pour combler de ridicule un des braves de son armée. Que diriez-vous, monsieur, d’un personnage qui se ferait appeler le marquis de la Pétaudière ?

Nous autres Français, nous ne saurons jamais que notre langue. Il n’y aurait donc guère d’inconvénient, si vos œuvres, à juste titre, ne jouissaient d’une vogue européenne.

Veuillez bien agréer, monsieur, ces observations de la part d’un de vos admirateurs les plus sincères.

Je déclare ne savoir aucun mot d’allemand. Il m’est d’ailleurs impossible de me livrer à l’étude de cette magnifique et très-estimable langue, tant que je ne saurai pas parfaitement la langue française ; et je la trouve si peu maniable après vingt ans d’étude, que je ne pense pas, comme mon bienveillant critique, que, nous autres Français, nous sachions notre langue ; si nous ne savions que cela, nous le saurions mieux. Venons au reproche qui taxerait de légèreté mon Napoléon de la Comédie humaine. Si je ne sais pas l’allemand, je connais beaucoup l’Allemagne, et j’ai l’honneur d’affirmer à l’auteur de cette lettre que je suis passé environ neuf fois par la ville de Forzheim, située sur les frontières des États de Bade et du Wurtemberg. Cette ville est une des plus jolies et des plus coquettes de cette contrée, qui en compte tant de charmantes. C’est là qu’en 1809 le héros des Chouans a livré le brillant combat en souvenir duquel, après Wagram, Napoléon le nomma comte du nom de cette ville, selon son habitude de rattacher sa nouvelle noblesse à de grands faits d’armes. Cette affaire est le sujet d’une de mes Scènes de la Vie militaire. Si mon critique anonyme sait l’allemand, je suis fâché de voir qu’il n’est pas plus fort en géographie, que moi sur la langue germanique. Subsidiairement, si Forzheim veut dire Pétaudière, Bicoque en Italie a immortalisé ce nom bizarre ; puis nous avons eu les ducs de Bouillon, et nous comptons, nous autres amateurs des vieilles chroniques, plus de vingt noms, célèbres au temps des croisades, qu’on ne peut plus imprimer aujourd’hui, tant ils sont ridicules ou indécents. Cinq familles françaises (entre autres, les Bonnechose) ont été autorisées par lettres patentes à changer quelques-uns de ces noms qui, dans le vieux temps, avaient bien leur prix. Enfin, Racine, Corneille, Lafontaine, Marot, les deux Rousseau, Cuvier, Picolomini, Facino Cane, Marceau, Cœur, Bart, etc., ont surabondamment prouvé que les noms deviennent ce que sont les hommes, et que le génie, comme le courage, transforment en auréole les vulgarités qui les touchent.