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Vous avez passé quelques mois en province, vous avez dit par désœuvrement quelques mots d’amour à la femme la moins laide du département ; là, elle vous paraissait jolie, et vous avez été vous-même. Cette plaisanterie est devenue sérieuse à votre insu.

Madame Coquelin, que vous avez nommée Amélie, votre Amélie vous arrive à six ans de date, veuve et toute prête à faire votre bonheur quand votre bonheur s’est beaucoup mieux arrangé. Ceci n’est pas de l’innocence, mais de l’ignorance. Vous la dédaignez, elle vous aime ; vous arrivez à la maltraiter, elle vous aime ; elle ne comprend rien à ce que l’on a si ingénieusement nommé le français, l’art de faire comprendre ce qui ne doit pas se dire.

On ne peut éclairer cette femme, il faut l’aveugler.

Toutes ces impuissances de la province prennent les noms orgueilleux de sagesse, de simplicité, de raison, de bonhomie.

On ne saurait imaginer la masse imposante et compacte que forment toutes ces petites choses, quelle force d’inertie elles ont, et combien tout est d’accord : langage et figure, vêtement et mœurs intérieures. Dans la toilette d’une femme de province, l’utile a toujours le pas sur l’agréable. Chacun connaît la fortune du voisin, l’extérieur ne signifie plus rien.

Puis, comme le disent les sages, on s’est habitué les uns aux autres, et la toilette devient inutile.

C’est à cette maxime que sont dues les monstruosités vestimentales de la province ; ces châles exhumés de l’Empire, ces robes ou exagérées, ou mal portées, ou trop larges, ou trop étroites !

La mode s’y assied au lieu de passer. On tient à une chose qui a coûté trop cher, on ménage un chapeau. On garde pour la saison suivante une futilité qui ne doit durer qu’un jour.

Quand une femme de province vient à Paris, elle se distingue aussitôt à l’exiguïté des détails de sa personne et de sa toilette, à son étonnement secret et qui perce, ou ostensible et qu’elle veut cacher, excité par les choses et par les idées.

Elle ne sait pas ! Ce mot l’explique. Elle s’observe elle-même, elle n’a pas le moindre laisser-aller.

Si elle est jeune, elle peut s’acclimater ; mais, passé je ne sais quel âge, elle souffre tant dans Paris, qu’elle retourne dans sa chère province.

Ne croyez pas que la différence entre les femmes de province et les Parisiennes soit purement extérieure, il y a des différences d’esprit, de mœurs, de conduite.

Ainsi la femme de province ne songe point à se dissimuler, elle est essentiellement naïve. Si une Parisienne n’a pas les hanches assez bien dessinées, son esprit inventif et l’envie de plaire lui font trouver quelque remède héroïque ; si elle a quelque vice, quelque grain de laideur, une tare quelconque, la Parisienne est capable d’en faire un agrément, cela se voit souvent ; mais la femme de province, jamais ! Si sa taille est trop courte, si son embonpoint se place mal, eh bien, elle en prend son parti, et ses adorateurs, sous peine de ne pas l’aimer, doivent la prendre comme elle est, tandis que la Parisienne veut toujours être prise pour ce qu’elle n’est pas. De là ces tournures grotesques, ces maigreurs effrontées, ces am-