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mère, il y eut parmi ces femmes une sorte d’émeute, et madame Nourrisson eut un moment difficile à passer ; mais Jacqueline Collin, cheval de bataille bien autrement difficile à effaroucher, fit tout rentrer dans l’ordre, et les révoltées qui ne comprenaient pas trop qu’on fît tant de résistance pour le salut d’une vertu déjà compromise, se mirent à prêcher à la réfractaire la résignation et l’accusèrent même d’être une mauvaise mère quand elle faisait passer quelque chose avant son enfant. Enfin on annonça que vous étiez dangeureusement malade.

— Ah ! que ne suis-je mort alors ! s’écria Sallenauve en se rasseyant.

— La tête perdue de cette nouvelle, votre mère se déclara prête à tout subir. Alors reparut dans sa vie Jacques Bricheteau. Un soir que madame Nourrisson donnait une soirée dansante, le jeune artiste, dont la fortune musicale n’était pas brillante, fut envoyé pour tenir le piano, par le facteur chez lequel on avait loué l’instrument. Pendant la soirée, où il fut fort choyé par les pensionnaires de la maison, parce qu’il faisait admirablement bien danser, il put échanger quelques mots avec votre mère, et un projet d’évasion s’arrangea. Éventé par madame Nourrisson, ce projet, qui ne put être exécuté, amena une scène horrible, et je ne dois, monsieur, vous en dire le détail qu’après vous avoir prévenu que là est le nœud de votre existence. Toutes les autres plaies que j’ai eu jusqu’ici à vous signaler, ne sont rien au prix du malheur dont j’ai à vous entretenir encore. Il a déposé sur votre nom une de ces flétrissures dont aucun talent, aucune valeur personnelle ne relève. Veuillez donc un moment réfléchir. Votre vie par là est barrée. Ne vaudrait-il pas mieux, en ignorant un secret qui remplira tout votre avenir d’amertume, ou renoncer à la vie publique, ou courageusement vous mettre avec nous, qui, après tout, ne vous voulons pas de mal, et qui, une fois que vous serez des nôtres, serons les premiers intéressés à une discrétion que je vous promets entière et à toute épreuve. Encore un coup, monsieur, avant de m’engager à pousser plus loin, pensez-y bien ; car c’est un coup de massue qui va vous frapper.

— Monsieur, répondit Sallenauve, j’apprécie comme je