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pense quelquefois à celui qui se dit, pour la vie, ton ami,

 » Jules. »

— Qu’avait-il donc fait, ce monsieur Jules ? demanda Sallenauve. Il y a eu sous la Restauration un agent de change de ce nom (voir les Treize) impliqué dans une bien douloureuse histoire.

— Ce n’est pas celui-là, répondit Rastignac. Pour persuader à Catherine Goussard, continua-t-il, de se rendre au lieu où elle devait la conduire, Jacqueline Collin n’eut pas à faire de grands frais d’éloquence ; la malheureuse fut portée évanouie dans une voiture qui stationnait à la porte de sa maison. Maintenant, monsieur, ajouta le ministre en faisant une pause, je dois vous demander si vous avez lu le roman de Clarisse Harlowe ?

— Assurément, dit Sallenauve, vous n’avez pas en un pareil moment, monsieur le ministre, l’intention d’être plaisant ?

— Pas le moins du monde, et je vous fais cette question, parce qu’entre l’héroïne de Richardson et l’infortunée Catherine, se trouve ici un grand rapport de position. Le Lovelace seulement était beaucoup moins séduisant, car il s’agissait du vieux comte de Gondreville. Mais, quant à la Saint-Clair, qui était Jacqueline Collin, je la trouve bien autrement profonde et redoutable, que celle du romancier anglais ; au lieu d’être entre les mains du séducteur un instrument passif, cette abominable femme s’était chargée de tout conduire.

— Parlez net, dit Sallenauve, vos circonlocutions font mourir.

— Eh bien ! reprit Rastignac, la prétendue sage-femme chez laquelle fut menée Catherine Goussard, était une madame Nourrisson, amie de Jacqueline Collin, et tenant à Paris une maison étrange. Cette maison, qui se maintint longtemps par la protection de la police immorale de Fouché, sous prétexte qu’elle rendait de grands services à son administration, était une sorte de pension bourgeoise et de table d’hôte, où le soir on donnait à jouer. Indépendamment des femmes qui venaient en passant chercher aventure dans ce salon suspect, la Nourrisson