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fin entre eux à toute espèce de relations, elle accourut à Paris, emmenant avec elle sa fille, et descendit chez une ancienne maîtresse de Marat, la fille Jacqueline Collin (voir Grandeur et misère des Courtisanes). À raison de l’amitié qui avait uni les deux grands révolutionnaires, le même sentiment se retrouvait entre ces deux femmes, dont la valeur morale, comme vous le verrez, était pourtant bien différente. Destinée à une honteuse célébrité, Jacqueline Collin, dont vous avez peut-être entendu parler, comme d’une agente matrimoniale, qui se fait aujourd’hui appeler madame Saint-Estève…

— Vous m’avez promis des révélations cruelles, dit Sallenauve en interrompant ; leur moment, je pense, doit approcher.

— Jacqueline Collin, reprit Rastignac, en sortant des bras du hideux Marat, était devenue la maîtresse d’un chimiste nommé Duvignon, qui, vers l’année 1800, fut condamné à mort pour crime de fausse monnaie, mais il ne fut pas exécuté, s’étant, à ce qu’on crut alors, donné la mort à la Conciergerie au moyen d’un poison très subtil de son invention. Née dans l’île de Java où l’art des empoisonnements passe pour être poussé à une perfection rare, Jacqueline Collin avait les plus grandes dispositions à profiter des leçons du grand maître dont elle était devenue l’Héloïse et, il paraîtrait, qu’au profit de votre grand’mère, elle fit un emploi bien étrange de ses talents. Danton condamné à mort, Françoise Goussard ne voulut plus vivre : le jour où il fut conduit à l’échafaud, elle se trouva sur son passage, portant dans ses bras sa fille qu’elle lui présenta de loin. Danton leur fit un adieu de la main avec un sourire, et le tombereau continua de rouler. Rentrée chez Jacqueline Collin, c’est votre mère qui, dans une de ses lettres, raconte ce détail, dont malgré son jeune âge elle demeura vivement frappée. Françoise Goussard demanda à son amie : — Tout est-il prêt ? — Oui, répondit Jacqueline ; mais réfléchis encore, c’est des bêtises de faire des choses comme ça pour un homme. — Donne, répondit Françoise Goussard. Jacqueline Collin apporta alors un verre dans lequel il y avait quelque chose ressemblant à de l’eau rougie. — Je te recommande ma fille, dit Françoise Goussard en embrassant Catherine,