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Il dut faire un grand détour pour aller jusqu’au village où il devait trouver un prêtre, perdit ensuite du temps à l’éveiller et à lui donner ses instructions, en sorte qu’il était près de cinq heures du matin quand il se présenta au palais pour rendre compte au prince de son expédition.

Il voulait à toute force être introduit sur-le-champ, et, comme une altercation assez vive s’était élevée entre lui et le premier valet de chambre, qui refusait obstinément d’aller réveiller son maître, survint le grand-maître de la garde-robe, qui, le prenant à part, lui dit :

— Nous avons eu, cette nuit, un mariage à la chapelle du château ; cela s’est fait de la main gauche et sans aucune cérémonie ; j’étais l’un des témoins, et l’on nous a recommandé le plus inviolable secret ; mais vous, je sais que vous êtes au courant, et vous aurez même, je crois, à mettre demain quelques bruits publics en circulation, pour dépister la curiosité et les commentaires.

Vautrin vit que le premier valet de chambre, qui avait été l’autre témoin, comme Bontems pour Louis XIV, était parfaitement dans son rôle en lui refusant l’accès de la chambre à coucher du prince, et il se retira en haussant les épaules.

Le lendemain, sur les onze heures, après avoir eu son audience, il vint au palais habité par Sallenauve, et comme on le pressait sur la préoccupation à laquelle il semblait livré, il ne put se tenir de raconter la lugubre scène de la veille. Naturellement ce récit assombrit beaucoup le déjeuner.

Vers midi et demi, Vautrin demanda sa voiture et prit congé des deux amis pour se rendre à son département, emportant toujours sur son front le même nuage de tristesse. Il était à peine sorti depuis quelques minutes, qu’on entendit dans la rue une grande rumeur. Les deux amis coururent à une fenêtre donnant sur la cour pour savoir ce que cela signifiait, ils virent alors un jeune homme blond que les valets de pied tenaient par le collet, et en même temps la voiture du chancelier rentrant dans la cour du palais et venant s’arrêter au perron, Vautrin en fut retiré tout sanglant.

Transporté avec l’aide de Sallenauve et de Bricheteau dans l’antichambre, où aussitôt fut apporté un matelas