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tion ; elle porta une main à son estomac comme si elle y éprouvait une sensation pénible.

— Qu’as-tu ? dit vivement Vautrin en recommençant à croire au poison.

— Rien, dit cette femme de fer, c’est l’autre qui gagne les environs du cœur ; je meurs comme Socrate, mais par une ciguë perfectionnée qui se prend en pastilles et dont j’ai toujours eue sur moi. Quant à ce que tu me demandais : si c’était ici que nous nous étions rendus ; oui, mon chéri, ici… dans ce château où, depuis des années, Duvignon a toujours eu sa fabrique… parce que, même étant riche… il n’a jamais cessé… de cultiver son art… Qui a bu boira.

— Jacqueline ! criait cependant Vautrin en la secouant et en lui frappant dans les mains, est-ce que vraiment tu aurais pris quelque chose ?

La Saint-Estève, dans une longue expiration, parut rassembler la force de vivre encore un moment.

— Allons, dit-elle d’une voix éteinte, c’est bien, tu prends part à ta vieille tante ; mais défie-toi, j’ai retrouvé ici…

Le poison l’empêcha d’achever sa phrase.

Après avoir assuré la morte sur son siège, où elle fut maintenue par la raideur cadavérique qui avait envahi les extrémités inférieures, il déposa respectueusement un baiser sur son front ridé et déjà d’un froid de glace.

Ensuite, ouvrant la porte de la salle mortuaire et appelant l’officier qui commandait le détachement :

— Monsieur, dit-il, cette femme est morte, empoisonnée sans doute, pendant que je l’interrogeais. Vous allez conduire les autres prisonniers à la résidence, où vous les ferez écrouer à la maison d’arrêt. Laissez ici quelques hommes à la garde des morts, que l’on rassemblera dans cette salle. Et surtout, les plus grands égards pour ces restes humains qui sont ceux de gens non encore jugés et, par conséquent, présumés innocents ! En passant au prochain village, j’enverrai le curé pour leur donner la sépulture chrétienne.

Cela dit, Vautrin enfourcha son cheval et il partit au galop, comme s’il espérait que le mouvement l’aiderait à secouer ses idées funèbres.