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tenu, elle n’est pas même dans l’intention de le revoir ; comment donc pourrait-elle avoir la pensée de le disputer à quelqu’un ?

» Mais vous-même, chère sœur, après ce que vous savez maintenant des dispositions désespérées de notre Naïs, pensez-vous donner suite à une combinaison plus ingénieuse que solide, lorsqu’elle se trouve en présence d’une pareille force de passion ?

» Si l’on pouvait encore s’épouser d’un trait de plume, comme je me rappelle que cela se fait dans les comédies que j’ai vues autrefois, Naïs aurait pris le mari qui s’offrait à elle, et peut-être le sentiment d’un engagement irrévocable l’aurait fortifiée et soutenue. Mais du moment qu’un certain délai était nécessaire, vous auriez vu, la première ivresse de son sacrifice dissipée, un sombre désespoir succéder à sa résolution courageuse, et le cœur lui eût manqué pour mener jusqu’au bout sa généreuse et surhumaine abnégation.

» Maintenant, je ne mets pas en doute votre courage à vous-même ; nous sommes du même sang, et dans ce sang on se dévoue. J’ai dû me dévouer pour ma mère ; vous vous dévouerez pour votre fille, et, plus heureuse que moi, vous n’emporterez de votre dévoûment ni une flétrissure, ni la nécessité de vous ensevelir vivante.

» Quand votre cœur saignera, vous penserez à ce que j’ai dû souffrir avant d’arriver à ce calme que le témoignage de ma conscience n’aurait pas suffi à me donner sans le concours des sublimes consolations de la religion.

» Mais M. de S… n’a pas d’entraînement pour Naïs ; mais votre dévoûment sera en pure perte ; mais il y a dans ce mariage mille défauts de convenance. D’accord ; commencez pourtant par faire votre devoir de mère ; au reste, la Providence pourvoira.

» M. de S… est un esprit trop élevé pour ne pas être touché à la longue de cette tendresse si ardemment dévouée, qui a son excuse dans le plus noble des sentiments, celui de la reconnaissance. Le plus grand défaut de convenance, il n’est pas tant dans l’âge : il est plutôt dans certains plis que votre excessive indulgence a laissé prendre à l’esprit et à l’imagination de notre chère enfant. Laissez-nous-la quelque temps, puisqu’elle veut bien rester