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» Est-ce assez de haut et de bas dans notre liaison ? Et lorsque chaque cahot semble faire pénétrer plus profondément dans l’économie de mon existence, puis-je au moins espérer que je dormirai en paix sur le bord de la dangereuse pente où je me vois jetée ?

» Point : M. de l’Estorade se met encore de la partie et, courant au pôle opposé, de ces rigueurs injustes et extrêmes qu’à une autre époque exigeait de moi, ne lui prend-il pas l’idée de me faire passer aux coquetteries et aux séductions ? Notre querelle aujourd’hui est que je ne me montre pas, avec M. de Sallenauve, assez empressée, assez cordiale. À cela près que je n’ai pas affaire à M. Tartufe, le rôle d’Elmire, chère madame, me semble dévolu, et je crois vraiment que M. de l’Estorade resterait sous la table encore un peu plus dévotement que ne le fait Orgon.

» Vous comprenez que l’idée du mariage de Naïs est ce qui pousse mon mari à cette espèce d’énormité.

» Déjà deux ou trois fois dans son impatience de savoir la fortune de ce projet, il avait essayé de pressentir à son sujet M. de Sallenauve, et Dieu sait avec quelle délicatesse il abordait la question si je n’eusse adroitement rompu la conversation.

» L’autre jour, m’entreprenant vivement sur le chapitre devenu sa marotte : — il faudrait pourtant savoir, me dit-il, quelles sont au juste vos intentions au sujet de ce mariage ?

» — Mes intentions ! répondis-je, mais ce mariage ne dépend pas de moi, que je sache. — Au moins, dépend-il de vous d’en rendre la conclusion impossible, et vous auriez le parti-pris de l’empêcher de réussir, vous ne vous conduiriez pas autrement. — Au moins, fis-je, avec étonnement, vous me direz par où je suis un obstacle. — Mais d’abord, en me coupant la parole du plus loin que vous me voyez prêt à aborder la question. — C’est que vous ne me paraissez pas y mettre le ménagement et la prudence nécessaires, et qu’à mon avis vous vous avancez prématurément. — Soit ; j’y mets peut-être trop d’impatience et trop de hâte ; mais à quoi servira le temps que nous mettons à préparer les approches, si nous ne faisons rien dans ce sens ? — Que pensez-vous qu’il y ait à faire ? Pour mon compte, je ne vois pas…