les hommes qui pensent beaucoup, l’imagination, en présence de l’inconnu, prend le galop ; rattachant la solennité de ce rendez-vous demandé par Armand à la singulière attitude des Rastignac, Sallenauve se figura aussitôt que tout son secret était éventé ; et quoiqu’il eût dès longtemps habitué son esprit à la pensée de ce regrettable ébruitement, en dépit de l’argumentation de Bricheteau essayant de lui prouver que, le lendemain, selon toute apparence, il aurait affaire à quelque démarche d’écolier mal appris, sa nuit fut inquiète, et il attendit le matin avec anxiété.
Le lendemain, M. Armand se fit beaucoup désirer, et il était près de deux heures de l’après-midi qu’on ne l’avait pas encore vu au chalet.
— Il ne viendra pas, finit par dire Bricheteau, dont Sallenauve avait désiré la présence pour qu’il fût en quelque sorte le greffier de cette bizarre rencontre ; sa maman aura été avisée de son projet de descente ici, et l’aura forcé de rengainer ses grands desseins.
Cela dit, comme il avait des ouvriers à surveiller dans une partie éloignée du parc, il demanda à Sallenauve la permission d’aller vaquer à ce soin, mais il ne fut pas plutôt hors de vue que M. Armand de l’Estorade se fit annoncer.
Le survenant commença par s’excuser de son retard involontaire.
— Mon grand-père, dit-il, auquel je ne devais pas faire confidence de ma démarche, m’a mis en réquisition pour écrire à ses métayers, et j’arrive aussitôt qu’il m’a été permis de m’échapper.
— Eh bien ! mon cher monsieur, de quoi s’agit-il ? demanda Sallenauve en mettant à cette interrogation le ton de bonhomie le plus marqué.
— Monsieur, répondit le jeune important, vous avez compris sans doute que j’avais à vous entretenir du mariage de ma sœur et de celui de ma mère ?
— Non, repartit Sallenauve, je ne m’étais fait aucune idée de la nature de votre démarche qui seulement m’a donné un peu de curiosité.
— Probablement, dit Armand en exagérant la gravité habituelle de sa pose et de son accent, il vous a paru