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la confiance qu’elle avait montrée jusque-là en ses hautes lumières. Dans cette disposition d’esprit, elle s’était sentie plus forte contre les empiétements incessants que monsieur son aîné avait pris l’habitude de pratiquer sur son autorité maternelle, et elle avait nettement décliné cette conversation particulière qui lui était demandée. Armand avait alors plié devant cette attitude pour lui toute nouvelle. Mais pendant le dîner qui avait suivi cet échec, il s’était montré préoccupé et taciturne, et tout en lui avait accusé une sourde désapprobation de l’arrangement qui venait de lui être annoncé.

La soirée s’écoula sans qu’on entendît parler de madame de Rastignac et de M. de Restaud. Nécessairement, il se fit beaucoup de commentaires au sujet de cet empressement négatif, qui néanmoins, de l’aveu de chacun, avait plus d’une façon naturelle de s’expliquer. M. Armand n’osa point dire toute sa pensée sur ce qu’il entrevoyait ; mais il laissa pénétrer quelque chose de son instinct secret en gardant durant toute la soirée un silence superbe, et, en attendant pour prendre un air de triomphe et recouvrer la parole, que, l’heure de la visite prévue étant tout à fait passée, un commencement de réalisation semblât être donné à ses chagrines prévisions.

Le lendemain, pendant toute la journée, aucune nouvelle de madame de Rastignac, ce qui devenait difficilement acceptable, et assez grand émoi dans la maison l’Estorade, où, avec un désir bien naturel de sortir de cette incertitude, on se sentait néanmoins condamné, par la force des choses, à attendre, l’arme au bras, l’explication d’un procédé véritablement difficile à qualifier.

Le soir, les mêmes personnes que la veille avait réunies le salon de madame de l’Estorade, c’est-à-dire Sallenauve, Jacques Bricheteau, le vieux Maucombe et M. et madame Octave de Camps, s’y retrouvèrent encore ; mais M. Armand, lui, n’avait pas dîné chez sa mère. Un de ses camarades de collège, devenu associé d’agent de change, avait fait un coup heureux à la Bourse et l’avait convié, avec quelques autres anciens élèves d’Henri IV, à une petite griserie au café de Paris.

L’heure de la présentation de M. de Restaud de nouveau passée, et les choses restant dans le même état, on