Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont l’entreprise est généralement confiée à des barbiers qui, ici plus qu’en tout autre pays du monde, sont des hommes à toutes mains. »

Au mois de décembre 1843, Jacques Bricheteau reçut une dernière lettre de Sallenauve, datée de Corrientes. Elle était fort courte, comme celle d’un homme qui va aborder une grande et difficile entreprise et qui ne peut plus avoir sa pensée ailleurs.

« Je suis dans cette ville depuis près de six semaines, écrivait-il ; tous mes préparatifs sont faits ; on parle ici de quelques évasions heureuses accomplies par la voie que je vais tenter pour ma mère ; et, dans tous les cas, je n’ai négligé aucune des chances que j’ai pu mettre de mon côté. Demain matin, mon ami, je me mets en route. Pensez quelquefois à moi, et, quoiqu’il arrive, soyez assuré que jusqu’au dernier moment j’aurai gardé pour vous, dans mon cœur, une vive reconnaissance et tous les sentiments de l’affection la plus chaleureuse. Dites à M. Saint-Estève quelques bonnes paroles de ma part ; je vous y autorise : ne suis-je pas un peu comme ces gladiateurs dont parle Tacite, et qui en passant devant l’empereur lui criaient : Morituri te salutant (Ceux qui vont mourir te saluent) ? »


III

depuis A jusqu’à Z


Pendant toute l’année 1844, de Sallenauve, pas la moindre nouvelle ! Inutile de dire que, bien avant cette époque, le monde parisien avait entièrement cessé de songer à lui. La maison de madame de l’Estorade, dont Bricheteau demeurait un des fidèles, était le seul où son souvenir fût encore vivant. Même à l’hôtel Beauséant, où son nom, à une autre époque, avait eu le privilège de soulever des tempêtes, presque jamais il n’était question de cet ancien objet d’une haine qui n’avait plus sa raison d’exister.